Plusieurs milliers de messages issus d’un groupe privé Twitter, où figure le compte de Wikileaks, ont été rendus public. Parmi eux, certains laissent à penser que l’ONG avait tout intérêt à voir Donald Trump remporter l’élection présidentielle américaine de 2016. Quitte à l’influencer.
Les mauvaises nouvelles s’accumulent pour Julian Assange. Alors que la justice britannique a annoncé le maintien du mandat d’arrêt le visant, son organisation Wikileaks est de nouveau dans la tourmente. Si l’ONG a l’habitude de révéler des documents confidentiels, elle s’est -cette fois- fait prendre à son propre jeu.
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Des milliers de messages douteux
Pour une enquête publiée le mercredi 14 février par The Intercept, les journalistes Micah Lee et Cora Currier se sont procurés près de 11000 messages -envoyés entre mai 2015 et novembre 2017- d’un groupe privé sur Twitter. Parmi les membres de cette discussion, on retrouve une dizaine de soutiens de WikiLeaks ainsi que… le compte officiel de l’organisation. Ces messages ont été divulgué au média américain par un ancien supporter et bénévole de WikiLeaks, dont le pseudo est « Hazelpress ».
« À ce moment, étant donné le poids de WikiLeaks, tout ce que dit Assange est d’intérêt public », s’est justifié cet internaute anonyme, avant de rappeler que « WikiLeaks prétend être une organisation neutre. »
Un « canal faiblement sécurisé »
Les sujets évoqués ne sont pas les plus sensibles pour l’organisation: aucune information ne filtre sur la structure même de Wikileaks. Mais ce qui dérange, ce sont bien les propos tenus dans cette conversation, décrite comme « faiblement sécurisée » et qui devait tenir informée « à très long terme certains soutiens fiables sur Twitter ». Notamment sur la campagne électorale à la présidence des États-Unis en 2016.
« Nous pensons que ce serait bien mieux que le Parti républicain l’emporte », peut-on notamment lire dans un message de WikiLeaks daté de novembre 2015. Soit un an avant l’élection, avant même que Donald Trump ne soit désigné candidat.
Wikileaks Vs Clinton, une vieille histoire
Un soutien étonnant aux premiers abords, qui ressemble à une vaste stratégie politique -afin d’éviter une guerre- plutôt qu’une véritable adhésion aux idées du parti républicain. « Les républicains vont générer beaucoup d’opposition avec des décisions idiotes. Hillary (Clinton, ndlr) fera pareil mais ça passera mieux auprès de l’opposition libérale et l’opposition républicaine. Elle aura du coup plus de liberté pour débuter une guerre que les républicains, et c’est toujours ce qu’elle envisage faire », explique Wikileaks dans un autre message.
Une révélation est moins surprenante qu’on ne le croit; en 2010, alors qu’Hillary Clinton était secrétaire d’État, Wikileaks avait dévoilé des milliers de documents secrets concernant l’armée américaine. S’en était alors suivi une joute médiatique entre la politicienne et l’organisation de Julian Assange.
Hillary Clinton, une « sociopathe sadique »
Dans les messages dévoilés par The Intercept, le compte de Wikileaks la décrit comme une femme « brillante, avec des relations », mais qui serait une « sociopathe sadique ». Ce qui peut expliquer le rôle joué par Wikileaks durant l’élection présidentielle de 2016: l’organisation avait publié des milliers d’emails issus du Parti démocrate, mettant Hillary Clinton dans une position des plus délicates. De plus, le vocabulaire employé ne plaide pas vraiment en la faveur de l’ONG; de nombreux messages font des allusions sexuelles grossières à propos de l’ex-candidate à la présidence américaine.
Et pour obtenir tant d’informations, Wikileaks a souvent recours à la même technique. « Des études montrent que les photos de profil de femmes séduisantes font baissé la vigilance des groupes d’hommes réfractaires, comme les parlementaires », développe le compte officiel avant d’inciter à mettre des images de « jolies blondes » en photo de profil.
Antisémitisme, transphobie…
Mais la suite n’en est pas moins scandaleuse. Le compte de Wikileaks tacle régulièrement des journalistes, dont un travaillant pour Associated Press. « Il a toujours été un rat. Mais il est juif et est engagé ((())) sur la question », écrit l’ONG, avec ce symbole formé par des parenthèses qui fait directement référence à un meme néo-nazi. Une figure que l’on retrouve également dans certains tweets officiels (publics) de Wikileaks…
Le compte s’en prend également dans la conversation à l’une de ses lanceuses d’alerte historiques, Chelsea Manning. L’ancienne analyste de l’armée américaine, qui a depuis changé de sexe, est la cible de moqueries transphobes. Alors que c’était elle qui avait fourni de nombreux documents à Julian Assange et Wikileaks sur les dommages collatéraux causés par la guerre menée en Irak, quelques années auparavant. L’organisation estime notamment que les enjeux politiques sont « plus importants » que la « question du genre ».
Un compte géré par « plusieurs personnes »
Reste encore à savoir qui se cache derrière le compte officiel de Wikileaks. Pour The Intercept, aucun doute, il s’agit de Julian Assange en personne. Des accusations démenties -comme l’ensemble des faits évoqués dans l’article- par le principal intéressé sur Twitter, qui a expliqué que plusieurs personnes géraient le compte de l’organisation.
« Wikileaks ne peut confirmer aucun de ces messages de groupe de soutien sur Twitter. Wikileaks ne conserve pas ces messages. Wikileaks n’a pas été contacté par les auteurs. L’article prétend que le groupe était un ‘groupe de faible sécurité’ pour ‘supporters’, ce qui n’a pas été mis en place par Wikileaks. »
WikiLeaks cannot confirm any Twitter supporter group messages
– @WikiLeaks does not retain such messages
– WikiLeaks has not been contacted by the authors
– the article claims the group was a "low security group" for "supporters" and was not set up by WikiLeaks.— Defend Assange Campaign (@DefendAssange) February 14, 2018
« Le compte Wikileaks est géré par un personnel en rotation, comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises depuis plusieurs années. Une vérification basique des faits aurait montré cela. Autre exemple: l’article cite des messages à partir de la fin du mois d’octobre 2016, quand je n’avais pas accès à Internet. »
– the @WikiLeaks account is run by a rotating staff as has been repeatedly stated over the years: https://t.co/RYrYbLeaNt
– basic fact checking would have shown this. another example: the article uses messages from late Oct 2016 when I infamously had no internet access.— Defend Assange Campaign (@DefendAssange) February 14, 2018
Quel lien précis entre Trump et Wikileaks ?
Des révélations qui dérangent, en particulier à propos d’un collectif revendiquant sa neutralité. Car Wikileaks a bel et bien joué un rôle dans l’élection de Donald Trump, en mettant du plomb dans l’aile de la campagne d’Hillary Clinton. Et ce alors que le candidat républicain était déjà très avantagé par la publication de nombreuses fake news. Reste encore à définir la véritable connexion qu’il y a eu entre l’organisation et l’équipe de campagne du 45e président des États-Unis. Si ce n’est Donald Trump lui-même.
Au delà du stratagème politique dévoilé au grand jour, l’image de Julian Assange est un peu plus écornée. Toujours reclus dans l’ambassade d’Équateur à Londres (depuis plus de cinq ans), il se retrouve de plus en plus isolé sur la scène internationale. Et ce n’est certainement pas le sexisme, la misogynie et l’antisémitisme -dont fait part son organisation dans ces messages- qui l’aidera. Bien loin du portrait qu’on lui dressait il y a encore quelques années.
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