Un monde où tout se sait, sans zones de confidentialité, est-il désirable ?
Tiens, on reparle de Haiti. Normal, il y a une élection présidentielle, et puis une grave épidémie de choléra. Au moment du tremblement de terre il y a plus de 10 mois, médias et opinions s’étaient méga-mobilisés. Et puis, petit à petit, plus rien, Haiti a disparu des radars de l’info… jusqu’à la semaine dernière. Est-ce à dire que les problèmes étaient réglés, Port-au-Prince reconstruit, et que les Haitiens souffraient moins, méritaient moins notre attention ?
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Tiens, on parle des deux Corées. Enfin, disons que la région occupe les titres, sans pour autant que l’on sente des rédactions brûlantes sur l’affaire ni des opinions occidentales très mobilisées. Pourtant, c’est énorme ce qui se passe là-bas : le dernier état stalinien de la planète, nucléaire et armé jusqu’aux dents, pilonne son voisin, tuant des civils au passage. Quand Israël attaque Gaza ou une flottille, la mobilisation est autrement forte. La Corée, c’est trop loin ? Pas assez arabe ou juif ? Il est vrai que la communauté coréenne n’est pas très importante en France, mais quand même.
Tiens, on ne parle plus de l’affaire Woerth-Bettencourt, elle semble enterrée par Karachi… jusqu’à une prochaine résurrection ? La valse de la hiérarchie de l’info et les mouvements d’opinion à géométrie variable seront toujours un grand sujet d’étonnement. Les évènements surgissent, cristallisent, occupent un temps le centre de la scène, puis s’éloignent, disparaissent des feux de l’actu, tel un groupe soudain ringard ou un tube trop écouté.
Et au moment où l’on rédige cet édito, les nouvelles révélations WikiLeaks surgissent telles un « 11 septembre de la diplomatie » pour citer un ministre italien. La hiérarchie de l’info en est à nouveau bouleversée, par un webmédia « pirate », allié à quelques institutions de la presse mondiale. Assange est recherché par la CIA, les chancelleries chancellent et réagissent.
Sur le fond, ces fuites ne nous apprennent pas grand-chose de radicalement neuf, mais sur la forme, c’est une révolution copernicienne : on voit pour la première fois les coulisses des relations diplomatiques.
Au-delà du contenu de ces échanges, cela pose de nouvelles questions médiatico-sociétales : la transparence totale n’est-elle pas aussi dangereuse que l’opacité ? Peut-on tout dire ? Un monde où tout se sait, sans zones de confidentialité, est-il désirable, habitable ?
Hiérarchie, loupe grossissante ou déformante, in et off, frontières entre le publiable et le non publiable, tout bouge, et vite. D’un côté de la balance, l’exigence d’information et de démocratie, de l’autre, les effets pervers d’un tout-info cocaïne dont les doses de puissance et d’accélération n’en finissent plus d’augmenter. Plus que jamais, médias (et lecteurs-spectateurs) doivent réfléchir au bon équilibre entre ces deux plateaux.
Serge Kaganski
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