Aux Etats-Unis, des enclaves blanches à l’écart des centres urbains poussent comme des champignons. Au risque d’une balkanisation raciale.
La banlieue américaine, refuge et matrice des rêves et des angoisses de la classe moyenne, connaît une mutation sous la forme de lotissements paradisiaques, isolés et surtout, immaculés. On dénombre pas moins de 286 comtés qui cumulent à la fois une croissance démographique très forte et une population blanche à plus de 90 %. Leur standard de vie élevé leur vaut d’être classés comme les “meilleurs endroits où habiter”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Rich Benjamin, chercheur afro-américain au think tank indépendant Demos, a passé plusieurs mois à visiter ces enclaves monocolores où l’on pratique intensément le golf et l’entre-soi. Ces nouvelles incarnations du rêve américain, qui fleurissent hors des centres urbains et des banlieues, dans l’Utah, l’Idaho ou la Géorgie, baptisées par l’auteur “Mecques blanches”, ou “Whitopia” ne sont plus l’apanage des rednecks (beaufs réacs) mais attirent familles, retraités et entrepreneurs. Son essai Searching for Whitopia (“A la recherche de l’utopie blanche”) raconte cette récente migration blanche.
Les nouveaux habitants de ces zones homogènes paraissent unis par la recherche de l’authenticité perdue des fifties et de qualités associées à la “blancheur” : sécurité, propreté, calme, cadre agréable. D’où une image de carte postale : lotissements cossus, terrains de golf, nature, ambiance chaleureuse… et pas un Latino à l’horizon. Fuyant “les échecs de la diversité” des grandes agglomérations, le crime et la pauvreté, ces communautés en majorité conservatrices sont aussi mues par la peur de l’immigration. “En 2042, les Blancs (non-hispaniques) ne seront plus majoritaires aux Etats-Unis. Cette statistique fait peur à beaucoup d’Américains qui optent pour le repli”, explique Benjamin.
L’élection de Barack Obama, célébrée comme l’avènement d’une Amérique postraciale, a en partie voilé le développement de ces enclaves. L’isolement géographique et social de certains ghettos urbains, qui perdure au-delà de la lutte des droits civiques, se voit encore renforcé par cet exode blanc. Car le melting-pot américain et sa diversité ne sont pas pour autant synonymes d’intégration : “Depuis quarante ans, ce pays a réussi à réellement améliorer les rapports entre personnes de races différentes, reconnaît l’auteur, mais il y a d’autres forces, plus difficiles à identifier, qui maintiennent la même ségrégation spatiale que dans les années 70.”
Le visage du racisme a changé, d’interpersonnel il est devenu structurel : ces enclaves blanches, nées de stratégies d’évitement, produisent un “racisme sans racistes” qu’il estime dangereux, à terme, pour la démocratie. “Pour que la démocratie puisse fonctionner pleinement, les citoyens doivent être vraiment intégrés.” Et de conclure : “La question raciale fait l’objet d’un discours spectaculaire et très émotionnel, il serait temps d’avoir un vrai débat sur les rapports entre race et pouvoir aux Etats-Unis.”
Clémentine Gallot Searching for Whitopia de Rich Benjamin (Hyperion), 354 pages, 18 €
{"type":"Banniere-Basse"}