Ce printemps 2014 verra naître le premier mook lesbien « Well Well Well », un bel objet volumineux (128 pages), en librairie, qui fera la part belle aux lesbiennes à travers des photographies et des articles longs.
Le projet est apparu comme une évidence pour Marie Kirschen, ancienne chef de rubrique de feu Tetue.com, le pendant lesbien en ligne du magazine gay Têtu. Son idée a emballé ses copines journalistes lesbiennes et bisexuelles qui, comme elle, avaient envie de continuer à écrire sur ces thématiques. Comme l’ensemble de la presse, touchée par la crise et la révolution numérique, les médias communautaires, au modèle économique déjà fragile, n’échappent pas à la règle. Outre la disparition de Tetue.com, après le rachat par Jean-Jacques Augier, il y a eu notamment la disparition de Muse & Out (ex La Dixième muse), et de Lesbia magazine.
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Heureusement, 2014 compte la naissance du magazine mensuel numérique Jeanne sorti en janvier. Et les lesbiennes peuvent aussi compter sur le site des « lesbiennes, gays, bis, trans » Yagg.com.
Quelques réunions « pizza-bière » plus tard, avec ses complices journalistes, un peu de « benchmarking » et les filles, âgées de 27 ans en moyenne, livraient un projet sur la plateforme de crowdfunding ulule.com pour récolter 10 000 euros. L’objectif est atteint en moins de 15 jours, messages d’encouragement en prime, l’équipe revoit ses prétentions à la hausse de 5000 euros. Dans ce mook semestriel vendu 15 euros, vous ne trouverez pas de publicité. Un choix délibéré face à une première réalité, selon laquelle beaucoup d’annonceurs mainstream ne veulent pas s’associer à des médias LGBT. Ensuite, les marques destinées aux femmes n’ont pas encore assez intégré que les lesbiennes sont des « consommatrices comme les autres », lance Marie. Reste les établissements où se fréquentent les lesbiennes, mais ils sont encore trop peu nombreux. Galère la pub donc, qu’à cela ne tienne, Well, tirée à 2 000 exemplaires maximum, ne comptera que sur le soutien de ses lectrices et lecteurs.
Documenter la vie lesbienne
La revue, au graphisme épuré et pointu, met en valeur des filles de leur temps. Well ira flirter aux confins de la bisexualité et de la transidentité et célébrera à sa manière la diversité des minorités, dans la minorité. « Par exemple, on ne voulait pas voir que des blanches dans le chemin de fer », souligne Marie. Les thématiques : culture, musique, reportage ici et à l’étranger, sport, grands angles sur des sujets de sociétés, et analyses. Le numéro pilote sera baptisé par un texte inédit de Virginie Despentes, ou encore un portrait de la photographe, réalisatrice et activiste sud-africaine Zanele Muholi. L’histoire des mouvements lesbiens sera consacrée.
« Il y a un nombre important d’événements, notamment dans les années 70, qui sont passés à la trappe dans la littérature », les maisons d’éditions ne seraient pas intéressées, selon Marie.
Au programme donc, la documentation de la vie des lesbiennes, « de l’empowerment, quoi », lâche Elsa, elle aussi journaliste dans la revue. Le numéro 1 de Well dédiera un portrait à l’icône afro-américaine Audre Lorde, poète et figure féministe lesbienne, décédée il y a plus de dix ans, « mais que personne ou presque ne connaît en France », s’étonne Marie, qui voit dans ce vide documentaire, et dans l’absence de travaux journalistiques autant de marges de manœuvre. « De fait, c’est une revue militante, au sens où nous sommes toutes bénévoles. D’une certaine manière, le mook ne tient que sur notre engagement », explique Marie. Ah oui, au fait, pourquoi Well Well Well ? Parce qu’être lesbienne c’est « bien, bien, bien », sourit-elle. Plus sérieusement, c’est le titre de la chanson du groupe de rock américain féministe et lesbien Le Tigre et puis c’est tout.
Réunies au QG de la revue pour l’interview, quelques filles se lâchent sur le traitement médiatique qui leur est réservé. « Il existe 1000 manières d’être lesbienne, mais on n’en parle jamais positivement », considère Charlie, journaliste à la radio. Dans le feu de l’actualité, au hasard, la PMA : « c’est choquant de voir des hommes sur un plateau télévision venir parler de nous, entre eux », sans jamais faire intervenir les principales concernées, poursuit-elle. Sans parler du Mariage pour tous, raccourci en mariage « gay », mot qui, dans l’acception française, ne renvoie qu’aux hommes. Côté cinéma: elles n’ont pas du tout détesté La Vie d’Adèle, « mais on aurait dit que les médias avaient peur de prononcer le mot lesbienne », introuvable, ou périphrasé « une femme qui aime une femme », souligne Marie (une autre) journaliste calée en politique. Et puis il y a les gaffes, comme dans ce grand news magazine de gauche qui a écrit qu’une lesbienne a « avoué » son homosexualité comme on avouerait un crime, poursuit-elle. Coïncidence ou pas, la veille, Ellen Page prononçait ces trois mots : « I am gay », dans un discours fleuve, qui s’apparentait au discours de sa vie, bien décidée à endosser une « responsabilité sociale », comme on endosse une armure pour aller en guerre contre l’homophobie. Well well well, écrire écrire écrire, ou comme dirait Fauve, « parler parler parler, parler encore pour affronter la nuit ».
Juliette Mbengue
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