Incontournable dans les smartphones chinois, la super app vient de dépasser le milliard d’utilisateurs actifs. Et les autorités ont accès à toutes les données personnelles
Imaginez la scène. Le soir, vous rentrez chez vous, fatigué. Vous commandez un repas, répondez aux messages de vos amis, puis achetez de nouveaux meubles et réglez vos impôts. Le tout, sans bouger de votre canapé, ou sortir votre carte bancaire, mais surtout… en restant sur la même appli installée sur votre smartphone.
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En Chine, c’est possible grâce à WeChat. Ou plutôt à Tencent, l’une des plus grosses sociétés du web chinois. L’application a dépassé le milliard de comptes d’utilisateurs actifs au début du mois d’avril. Face au blocage de Facebook, Google, Twitter ou encore YouTube, des entreprises chinoises monopolisent le marché avec des réseaux sociaux équivalents : Baidu, YouKu, ou encore Weibo.
Mais certaines applis ont développé des fonctionnalités tellement ingénieuses que ce sont désormais les géants occidentaux qui tentent de s’en inspirer. Parmi elles, on trouve la “super app” WeChat, une sorte de couteau suisse 3.0. “Il s’agit d’un écosystème complexe que l’on peut comparer à l’IOS d’Apple ou à l’Android de Google”, résume Cyril Drouin, responsable de la filiale eCommerce de Publicis Commerce en Chine.
Créée en janvier 2011, WeChat est au départ une plate-forme de messagerie qui se distingue très vite de WhatsApp – l’une des rares autorisées dans le pays – grâce à sa fonctionnalité de messages vocaux. Sa force est surtout d’avoir su évoluer et s’adapter au fil du temps.
Trois ans à peine après son lancement, WeChat Pay a vu le jour. Sorte de portefeuille virtuel, il permet de payer ses achats sur le net mais aussi chez les commerçants de son quartier en scannant avec son smartphone le code QR affiché à la caisse. Surtout, Tencent a promu sa technologie en tablant sur les hongbao, ces petites enveloppes rouges dans lesquelles les habitants ont pour habitude de glisser un peu d’argent pour les plus jeunes ou pour leurs employés au nouvel an.
En 24 heures à peine, près de 5 millions d’internautes avaient déjà envoyé plus de 75 millions de hongbao, et commencé à utiliser l’application. Pour fidéliser ses utilisateurs, Tencent a même pensé à mettre en place un système de remises attractives dans certains restaurants du pays, à condition de payer avec WeChat Pay.
Aujourd’hui, la population ne paie plus qu’avec son téléphone, à condition d’avoir de la batterie bien sûr. “La Chine a pris trente ans d’avance sur le paiement virtuel, en à peine quatre ans. Plus personne ne se balade avec sa carte de crédit ou du liquide sur soi. Il y a de moins en moins de distributeurs dans les rues”, raconte Cyril Drouin.
“Ce n’est plus un geste naturel pour moi de sortir mon porte-monnaie”, renchérit Victoria Jonathan, cofondatrice de l’agence culturelle Doors, expatriée à Pékin. WeChat a pris de l’ampleur en janvier 2017 avec la création de miniprogrammes, transformant l’app en un écosystème géant. WeChat est aujourd’hui la plus grande plate-forme de blogs du pays.
Une messagerie, un moyen de paiement, un réseau social (avec les Moments) et enfin une source gigantesque de services à la demande qui peut satisfaire tous vos besoins, la stratégie est claire : les utilisateurs ne doivent plus avoir de raisons de quitter la plate-forme.
“Je n’ai aucun numéro de téléphone, je n’échange plus de cartes de visite et je n’envoie plus de mails. WeChat est aussi un outil de socialisation massif”, insiste Victoria Jonathan. Et pour les marques, l’enjeu est important. “Mieux vaut avoir un super compte WeChat qu’un super site internet”, insiste Cyril Drouin, de chez Publicis Commerce.
Du coup, Tencent sait de quoi vous parlez, à qui vous parlez, ce que vous lisez, où vous allez et comment vous dépensez votre argent… Pour le plus grand bonheur du gouvernement chinois, qui accède à une quantité impressionnante de données personnelles.
Une aubaine aussi pour son système de “crédit social”, testé depuis quelques années dans plusieurs villes, qui lui permettra de récompenser ou sanctionner les citoyens pour leurs comportements. Tel un mauvais remake de la série Black Mirror, une mauvaise note pourra vous empêcher de voyager, voire même d’accéder à un logement ou une demande de crédit.
“Environ 2 % des articles publiés sur WeChat sont effacés au bout de trois jours, pour diverses raisons”, affirme Thomas Graziani, qui a fondé à Pékin la société WalktheChat, qui aide les entreprises à ouvrir des WeChat Stores sur l’application.
“Le fait que les dirigeants y aient accès est une notion assimilée par la population. Par contre, les utilisateurs s’insurgent davantage contre la vente de données”, note Cyril Drouin. Le problème, c’est que des entreprises de tech européennes et américaines tentent dorénavant de développer des supers app comme WeChat, où vos données pourront alors se retrouver entre les mains d’une seule et même firme.
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