Après de grands hauts, quelques bas, le licenciement de la quasi-totalité de son équipe de développement et la reprise du projet par la société de l’auteur de la BD, la série vidéoludique “The Walking Dead” vient de prendre fin avec la sortie de l’ultime épisode de sa quatrième et dernière saison. Qui clôt en beauté l’un des jeux les plus importants de ces dernières années.
Comment ça se conclut, une série ? En télé, beaucoup se sont déjà penchés sur cette épineuse question, notamment Olivier Joyard (membre de la rédaction des Inrocks) dans un documentaire de 2017, . C’est beaucoup moins le cas pour les jeux vidéo, mais il faut dire que le terme “série” y désigne une réalité souvent bien différente. Certains préfèrent d’ailleurs parler de “franchises”, laissant imaginer qu’on lance un nouveau Call of Duty comme on ouvre une chaîne de restaurants (avec un certain nombre de règles à respecter, un environnement éventuellement différent mais un menu inchangé).
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Sauf que le modèle des séries télé, avec leurs épisodes que l’on n’en peut plus d’attendre, leurs cliffhangers et leur tendance occasionnelle à tout casser pour tout reconstruire (parfois plus ou moins à l’identique) n’est quand même pas totalement étranger à l’industrie vidéoludique et ce, presque depuis ses débuts – en tout cas depuis 1979 et la série de jeux de rôle Dunjonquest, à en croire les gens qui savent les choses. Mais si, aujourd’hui, du mainstream à la scène indé, de Hitman à Kentucky Route Zero en passant par Life is Strange, les jeux épisodiques prolifèrent, leur essor doit beaucoup à une “série” née au début des années 2010 : The Walking Dead.
Là où cette dernière tenait à l’origine du décalque des comics de Robert Kirkman (mêmes personnages et situations à peine changées, du moins dans les premières saisons), la version vidéoludique prend, elle, tout de suite ses distances en s’appuyant, pour les rôles principaux, sur de tout nouveaux héros (à part pour le spin-of The Walking Dead : Michonne produit en 2016). Et en leur donnant vie d’une manière si convaincante qu’il ne serait pas absurde de défendre l’idée que Clémentine, la jeune fille âgée de 8 ou 9 ans quand on fait sa connaissance dans la première saison du jeu et que l’on accompagne jusqu’à la toute dernière scène de son ultime épisode fraichement paru, est le personnage le plus marquant de tout l’univers The Walking Dead, BD, série télé et jeu mêlés.
« Je n’aurais pas dû »
Cette première saison que l’on a vu changer, s’endurcir et s’affirmer au fil des épisodes qui, pour le jeu, sont à la fois plus longs (de deux à trois heures) et moins nombreux (cinq par saison, sauf pour la quatrième et dernière qui en compte quatre). Des épisodes souvent déchirants, avec leur lot de situations dans lesquelles le joueur doit choisir entre deux ou trois options alors que, même on retournant la question dans tous les sens, aucune réponse ne s’impose comme “la bonne”. A l’extrême, il s’agit de choisir lequel de deux personnages on sauvera des griffes des zombies qui prolifèrent dans ce monde d’après la catastrophe, mais l’affaire est parfois plus subtile sans être pour autant moins délicate à trancher.
L’idée, ici, est que le récit évolue en fonction de toutes ces grandes et petites décisions dont, nous assure-t-on, tel ou tel individu que l’on croise “se souviendra”, sans que l’on ne sache avec certitude dans quelles proportions. Ce qui n’est pas un défaut, bien au contraire : tout ça se joue au moins autant dans notre tête que sur l’écran et au classique “et si” (les choses s’étaient passées autrement / je n’avais pas fait ce choix) vient régulièrement s’ajouter un “je n’aurais pas dû” (dire telle chose qui, par ricochet, a causé tel autre événement tragique). Mais il est trop tard – sauf à recommencer le jeu, ce qui n’est bien sûr pas interdit. Et je suis responsable de ce qui s’est passé (au moins dans une certaine mesure car, dans cette riche fiction interactive, bien des décisions n’appartiennent pas au joueur).
Une fiction du déchirement
Aujourd’hui, donc, c’est la fin de l’histoire. Depuis 2012, The Walking Dead a profondément marqué le monde du jeu vidéo où depuis, on ne raconte plus tout à fait les histoires de la même manière. Après presque une décennie de tâtonnements plus ou moins heureux (Sam and Max, Strong Bad’s Cool Game for Attractive People, Tales of Monkey Island…), le studio californien Telltale Games était parvenu à ses fins : trouver une forme nouvelle et convaincante pour impliquer le joueur dans un récit interactif aussi stimulant qu’émouvant.
Et pour qu’il n’y ait plus vraiment de sens à se demander si, là, à cet instant précis, il est plus spectateur ou plus joueur tant la séparation entre les deux devenaient floue. La suite ne fut pas toujours aussi heureuse : sans les deux principaux auteurs de sa première saison, Sean Vanaman et Jake Rodkin, partis créer le studio Campo Santo et développer le très beau Firewatch, The Walking Dead a connu des hauts mais aussi quelques bas tandis que les finances de Telltale Games, dont les adaptations de “licences” à répétition (Game of Thrones, Batman, Borderlands, Les Gardiens de la galaxie…) prenaient des airs de fuite en avant, s’installaient dans le rouge. Jusqu’à l’annonce qui a beaucoup choqué, à l’automne dernier, du licenciement immédiat et sans indemnité de la quasi-totalité des salariés de Telltale par sa direction qui, apprit-on par la même occasion, ne s’était jusque là pas privé de les maltraiter.
Si l’“Ultime Saison” de The Walking Dead s’achève aujourd’hui en beauté – car, oui, les derniers épisodes sont d’un très bon niveau –, c’est finalement grâce à Robert Kirkman lui-même, l’auteur des comics qui a repris le jeu, pour mener à son terme la production des deux derniers épisodes. Et offrir par la même occasion à la série la fin qu’elle méritait, bien dans l’esprit de sa grande question pas si triviale que ça : comment fait-on pour continuer (à vivre, grandir, rire, aimer…) quand on ne cesse de perdre ce à quoi on (se) tenait ? Que le gore et en particulier la mutilation y tiennent une place centrale n’est pas surprenant : The Walking Dead version jeu vidéo (mais pas seulement) est une fiction de la coupure, du déchirement. Et, non pas malgré mais avec ça, c’est aussi une utopie. Sa fin – sur laquelle on se gardera d’en dire trop – le montre encore très bien.
Marcher avec les zombies
“C’est votre chien, maintenant”, nous dit à un moment le jeu à propos de cette Rosie qui, dans un épisode précédent, avait pourtant bien failli se jeter sur nous. Votre chien, votre vie, votre jeu. Il y a l’hypothèse Breakfast Club : les principaux personnages de cette saison 4 sont les ex-pensionnaires d’un établissement scolaire pour enfants “en difficulté” qu’à la guerre comme à la guerre, ils se sont appropriés. Ou encore l’hypothèse Life is Strange : une love story entre filles si le cœur nous a conduit par là – on relie les étoiles dans le ciel, on prend notre temps, comme ça. Il y a aussi quelques moments sidérants : un garçon mélancolique qui marche avec les morts-vivants, des zombies sous l’eau. Et, pour le joueur, un changement d’alter ego tout en douceur dont l’évidence fait sens.
On pourra toujours ronchonner devant les scènes d’action. Le “moteur” du jeu n’est de toute évidence pas fait pour ça et les “quick time events” (ces séquences où, sur la manette, il faut réaliser une certaine séquence de touches dans le bon tempo) donnent encore parfois le sentiment de jouer à une simulation de jeu plutôt qu’à un jeu – ils créent de la distance : on fait semblant. Mais, à ce moment, celui de mettre un point final à la série vidéoludique The Walking Dead et, au moins sous cette forme, à l’aventure Telltale, cela n’a sans doute plus beaucoup d’importance. Alors, au bout du compte, comment ça se conclut, une série (de jeu vidéo) ? Idéalement, en atteignant son point ultime de raffinement : celui où rien ne se résout vraiment mais où tout ce qui était en jeu, explicite ou latent, s’exprime de la manière à la fois la plus simple et la plus directe qui soit. Un point au-delà duquel continuer n’aurait aucune nécessité parce que tout, non pas au fond mais en surface, y est déjà. L’envie peut pourtant exister de tout recommencer pour vérifier si, à sa lumière, les choses ne paraîtraient pas légèrement différentes. Et revoir encore un peu Clémentine.
The Walking Dead – L’Ultime Saison (Telltale Games / Skybound Entertainment / Just For Games), sur PS4, Xbox One, Switch et PC, de 20 à 30€
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