“Être un tableau disponible et accessible”, c’est le rôle que Wajdi Mouawad a voulu tenir pour inspirer aux codirecteurs du festival une programmation cohérente et poétique. Revue de détails.
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Quel a été votre rôle en tant qu’artiste associé dans la programmation de cette édition ?
Wajdi Mouawad – Je crois qu’il s’agissait avant tout de définir la langue avec laquelle on parlerait de théâtre pour l’élaboration de cette édition 2009. Mon rôle consistait à évoquer, de la manière la plus aiguë possible, le regard que je porte sur le théâtre. Cela impliquait beaucoup de choses : des voyages, au Liban et au Canada, des échanges et de la fréquentation. Mon histoire avec leFestival ne s’est pas construite dans le temps. Il ne s’agissait donc pas de retrouvailles mais plutôt d’une rencontre. Mon rôle a consisté à être le plus disponible possible. C’est un rôle qui, pour moi, s’est apparenté à celui que peut avoir un tableau qui vous inspire. Vous le regardez et vous pouvez y voir une multitude de choses pourtant inconnues. Pour cela, il faudrait l’avoir sous les yeux quotidiennement ; il faudrait le contempler longtemps pour pouvoir y déceler une manière de penser et de rêver. Mon rôle consistait à être un tableau disponible et accessible à Hortense et Vincent (les codirecteurs du Festival d’Avignon – ndlr) dont ils allaient pouvoir s’inspirer pour en tirer, mystérieusement, une programmation. Cela signifiait échanger non pas sur tel ou tel artiste qu’il faut inviter ou non, cela était très rarement évoqué entre nous, mais déceler ce que les spectacles de la programmation, mis côte à côte, pouvaient évoquer. Le paysage général de l’édition que nous construisions ensemble, quel sera-t-il ?
Mon rôle a consisté à mettre des mots de théâtre sur ce paysage ; j’ai pu alors évoquer, par exemple, l’idée d’un paysage qui cache un charnier. Le Festival 2009 serait une manière de débusquer un charnier tenu secret. Emettre une idée comme celle-ci est un exemple du rôle que l’artiste associé se voit confier. C’est un rôle qui a consisté à permettre une mise en poésie des idées d’Hortense et Vincent.
Il y a dans ce Festival une couleur orientale, mais aussi québécoise. Quelles sont vos affinités avec les artistes présents ?
Le mot “affinités” est un mot complexe. Tous les artistes de cette édition ont une affinité ontologique du fait que tous “font” du théâtre. Il peut y avoir une infinité d’affinités. Il s’agit de savoir selon quel point de vue on regarde la chose. Les origines, les rapports sociaux signifient moins de choses à mes yeux, que les accointances artistiques. En ce sens, mon affinité avec les artistes québécois relève de notre formation et des influences communes que nous partageons liées à la situation culturelle du Québec qui a ses particularités. Mon affinité avec les Libanais est évidemment plus viscérale puisqu’elle me renvoie au pays, à la langue, à la mémoire. Cependant, en termes d’affinités artistiques, je me sens beaucoup plus proche de Krzysztof Warlikowski que des artistes québécois ou libanais qui sont invités cette année. Pourtant, je n’ai rien d’un Polonais. Cela signifie combien l’art appelle l’art ; en termes esthétiques, nous n’appartenons à personne ; nous appartenons à notre capacité de mettre en forme la beauté qui nous hante.
Quels rapports entretenez-vous avec les oeuvres d’artistes comme Rabih Mroué et Lina Saneh, Khalil Joreige et Joana Hadjithomas, Amos Gitai ?
Ce sont pour moi des découvertes que j’ai faites grâce à Hortense et Vincent. C’est là le paradoxe ! Il a fallu des Français pour me faire découvrir la puissance des artistes de la région dont je suis originaire. C’est un pan de l’exil qui s’ouvre dans cette terrible constatation. Cela dit, il est intéressant de voir que cette situation est réciproque. C’est-à-dire que si l’exilé ne connaît pas ceux qui sont restés, ceux qui sont restés ne connaissent pas non plus l’exilé. Cette constatation a été très émouvante à faire.
Et avec Denis Marleau, Christian Lapointe ou Dave St-Pierre ?
Denis est un metteur en scène qui, comme Robert Lepage, force les artistes de la scène québécoise à se positionner. Denis a eu une grande influence sur moi comme sur bien des artistes de ma génération. C’est un metteur en scène qui m’a permis de m’émanciper lorsque, à peine sorti de l’école, je cherchais à affirmer une dimension intellectuelle et spirituelle dans le théâtre que je voulais faire. Denis est un “monstre” en ce sens qu’il effraie par la rigueur et la puissance de son esthétique ; or la frayeur est nécessaire si l’on veut se connaître. Au Québec, il n’y a que lui qui parvient à tenir cette position ; il est en ce sens un artiste très “structurant” pour notre génération. C’est le grand frère qui exige tout. Christian et Dave sont mes petits frères dont le surgissement, avec une langue libre et féroce, me permet aussi de me questionner sur le théâtre que je fais ; ce sont des artistes pour qui j’ai une réelle admiration même si notre théâtre est très différent. En ce sens, sur le plan de la narration, sur la question de l’incarnation et sur l’espace émotif, je me sens très loin de Denis et Christian. A l’opposé, pour ainsi dire. Avec Dave, je peux partager une certaine exubérance, un rapport ludique à l’espace et aux interprètes, mais l’écriture nous sépare.
Côté européen, vous intéressezvous à la démarche d’un Christoph Marthaler, d’un Krzysztof Warlikowski ou d’un Pippo Delbono ?
Comme je disais plus haut, les affinités artistiques me sont plus évidentes dès qu’il est question des pays où la question narrative et émotive ne semble pas poser de questions. Les trois artistes que vous nommez n’ont pas peur de l’excès ; ils n’ont pas de complexes quant au récit, ni face aux “situations”. Ils aiment le mélo, ils savent être kitsch avec ironie et intelligence ; ils sont, à mon sens, libres dans les outils qu’ils mettent en place pour raconter le théâtre. Ils ne sont pas traumatisés par l’idée du “ressentir ensemble”, par le théâtre qui produit de la communauté. En ce sens, Krzysztof, pour moi, est l’artiste qui me bouleverse le plus tant son théâtre me donne force et courage pour continuer à réaliser ce que j’ai dans le coeur. Essentiellement parce que son théâtre, au-delà de la beauté stupéfiante due à son talent hors norme, est plein d’une bonté impitoyable.
Il y a plusieurs metteurs en scène qui sont aussi des réalisateurs de films. D’où vient ce choix selon vous ? Qu’en pensez-vous ?
Dès que l’on se pose la question de la narration, comme on a pu le faire avec Vincent et Hortense, nécessairement on finit par aborder le rivage cinématographique tant le cinéma a fait du récit et de la narration l’axe de sa puissance. Or il se trouve que, tout à fait par hasard, Vincent avait déjà des projets avec Christophe Honoré et Amos Gitai ; ce hasard était beau, il est venu donc accentuer cette question de la narration et nous amener avec Hortense et Vincent à penser une fenêtre cinématographique qui, du coup, s’inscrivait parfaitement dans le trajet de cette édition. Mais il existe aussi un lien contradictoire entre le théâtre et le cinéma, car tout porte à les rapprocher mais tout les éloigne. En ce sens, le théâtre est beaucoup plus proche de la peinture, et le cinéma est beaucoup plus proche de la littérature. La présence de réalisateurs qui abordent le théâtre témoigne du désir de voir et de vérifier où en est aujourd’hui cette relation tumultueuse entre ces deux arts du récit.
Est-ce qu’une des particularités de cette édition ne serait pas son ouverture importante à des artistes non-européens ?
Oui. Mais pas seulement. On peut dire tout autant que c’est l’édition dont l’artiste associé n’est pas un Européen, contrairement aux précédentes. Cela aussi raconte quelque chose. Qu’est-ce que cela signifie ? On peut dire que c’est une édition où le français est multiple puisque tant de français différents seront parlés. La particularité de la manière avec laquelle le festival se construit, c’est qu’il demeure ouvert aux multiples interprétations. En ce sens, oui, vous avez raison, mais cela ne peut en aucun cas donner un axe de lecture prioritaire.
Propos recueillis par Hugues Le Tanneur
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