Ils sont vegans, ont une sensibilité écolo et soutiennent les artisanats locaux, sans jamais renoncer à leur passion pour la mode. Enquête chez les nouveaux designers du business peace & love. Les années 2000. Alors que les grandes firmes de l’industrie textile sont montrées du doigt pour exploiter une main d’œuvre bon marché et sous-traiter […]
Ils sont vegans, ont une sensibilité écolo et soutiennent les artisanats locaux, sans jamais renoncer à leur passion pour la mode. Enquête chez les nouveaux designers du business peace & love.
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Les années 2000. Alors que les grandes firmes de l’industrie textile sont montrées du doigt pour exploiter une main d’œuvre bon marché et sous-traiter à tour de bras, la résistance éthique se faufile pour la première fois dans les étoffes des nouveaux labels de prêt-à-porter. L’objectif : rompre avec l’hyperconsommation et la fringue Kleenex.Problème : ces marques au stylisme faiblard peinent à sortir des réseaux trop confidentiels des échoppes équitables.
Les années 2010. La première génération de créateurs conscients laisse la place à celle qui range les arguments éthiques au dos de l’étiquette. Leurs noms : Waiting For The Sun, Twins For Peace, Misericordia, Honest By, Valentine Gauthier ou Good Guys. Leur motto : donner une nouvelle chance aux vêtements avec une bonne dose de sex-appeal et un zest de supplément d’âme. « Les créateurs qui ont surfé sur le créneau de la revendication pendant toute la décennie des années 2000 se sont trompés », observe Caroline Bianzina, Directrice Conseil au cabinet Martine Leherpeur. « Les nouveaux acteurs ont bien compris qu’ils devaient passer par la création et être distribués chez Colette ou Centre Commercial, au lieu d’être relégué dans la catégorie « éthique ». »
De Katmandou à Colette
« Je n’aime pas trop le terme « éthique », il y a un côté cracheur de feu ou trek à Katmandou », juge la créatrice Valentine Gauthier. « Les termes « écolo », « green », ou « local » servent de points d’ancrage, mais il s’agit plutôt d’une prise de conscience de ce qui nous entoure et ce changement touche tous les domaines. Nous sommes une génération éveillée. »Après un passage chez Rochas et Martin Margiela, la créatrice navigue en solitaire depuis 2008 avec sa marque éponyme, reconnaissable par son design architectural et ses imprimés colorés. Les accros de mode, en quête d’un peu de profondeur sont prêts à suivre. « Le consommateur est friand de belles pièces et de nouveautés. Il a envie d’être prescripteur et de s’éloigner des looks uniformisés des grandes distributions. Derrière un achat, le consommateur a envie d’exprimer qui il est, donc de partager une valeur », confirme Caroline Bianzina.
Cette prise de conscience a un responsable : la crise. Une partie croissante de l’opinion qui veut d’avantage d’authenticité dans sa garde-robe, et qui, selon Nathalie Ruelle, Professeur à l’Institut Français de la Mode (IFM), s’explique par une quête du mieux vivre : « Ces dernières années, on a vu l’émergence d’une nouvelle sensibilité fondée sur un rejet du faux, de l’exploitation humaine et de la production de masse. L’éthique a glissé d’un acte militant vers une nouvelle forme d’expression spirituelle dans une société qui connaît une crise du sens. »
C’est là une bonne définition de l’éthique des années 2010 qui, même s’il n’existe pas de label officiel, s’articule autour de quelques fondamentaux. Le premier, conformément aux règles définies par l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le non-travail des enfants. Viennent ensuite l’interdiction du travail forcé, la garantie d’une rémunération décente des employés, l’assurance de bonnes conditions d’hygiène et de sécurité. Bref, le strict respect de la loi.
L’éthique, nouveau vecteur de cool
Pour sensibiliser les consommateurs sur le côté équitable des créations, ces designers sortis pour la plupart d’écoles de mode apportent une attention sans compromis au stylisme. « Etre à la marge dans la mode est une mascarade », juge Aurelyen, fondateur de la marque Misericordia. « Je ne trace pas de murs infranchissables entre « la mode conventionnelle ou éthique ». Je rêve de produire des images troublantes, séduisantes et pleines de sens pour communiquer avec les autres. » Aurelyen dessine avant de faire développer ses créations dans ses ateliers de Lima au Pérou. Le vestiaire est composé de pièces graphiques orientées streetwear en coton bio de Pima et de baby alpaga. Misericordia compte aujourd’hui une quarantaine d’employés dont elle assure conditions de travail et salaires justes. En plus de réussir à s’implanter dans les concepts stores les plus en vue de la planète (Colette, Isetan, Harvey Nichols), ce diplômé des beaux-arts régénère sa marque depuis dix ans grâce à des collaborations avec des créateurs ultras pointus comme Kris Van Assche, Matali Crasset ou Bernhard Willhelm.
Travailler en collectif pour porter la créativité à ébullition, c’est aussi le leitmotiv de Waiting for the Sun. « On aime l’idée d’une famille artistique avec laquelle les échanges sont très forts », explique Julien Tual, co-fondateur de la marque avec Antoine Mocquard. Géniteur d’une poignée de collections de lunettes de soleil chics et bon teint qui allie bois recyclés et plastiques végétaux, le duo s’entoure de noms délicieusement snobs, de Commune de Paris, à l’illustrateur Néerlandais Parra, en passant par la marque de skate Australienne Penny Skateboard. Pour sa première boutique parisienne, WAIT a planté sa tente rive droite, avec comme trame de fond la culture surf, les Doors et la Californie.
Depuis 2011, les derbies de Good Guys Don’t Wear Leather fleurissent les pieds de tout bon trendsetter qui se respecte. En créant la première marque de chaussures haut de gamme française certifiée sans ingrédient d’origine animale, Marion Hanania, assume un végétarisme bien loin de l’esprit éco-terroriste de la PETA. « Le principal challenge est de trouver les bons matériaux pour proposer la meilleure qualité vegan, tout en maintenant des prix abordables », explique la créatrice. A chaque collection, l’accent est mis sur les matières techniques, le caoutchouc naturel, les microfibres de Suède et les toiles de coton waterproof. Les chaussures mixtes au style preppy sont dessinées à Paris avant d’être produites au Portugal. Marion cultive son goût de la culture street en s’associant avec Tigersushi pour une collection capsule, ou encore Herman Düne qui signe la musique des vidéos Good Guys.
Le haut du panier fashion ? L’ultime pythie de la mode ingénieusement lancée dans la cause éthique, Bruno Pieters. En 2012, le créateur belge formé à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers lance Honest by, un label qui fait de la transparence l’ADN de ses collections. « Laisser les consommateurs dans le mystère peut s’avérer périlleux pour une marque. Quand on a un beau produit, il faut communiquer clairement dessus. Cela fait partie du service client. » Sur le site de la marque, des dizaines de vêtements, chaussures, accessoires, d’origine naturelle, recyclée ou végétalienne, et de fabrication européenne sont disponibles. En plus de pouvoir commander les pièces de son choix, le client y trouve pour chacune d’elles toutes les informations qui justifient le montant total qu’il lui sera demandé de payer : matières, conception, provenance du tissu, coût réel du vêtement et impact carbone.
Entre création artistique et engagement social, ces designers représentent, chacun à leur manière, un aspect de l’éthique cool des années 2010. Un parti pris radical payant puisqu’ils inventent leurs propres règles en marge de la mode mégastore et préfigurent le business de demain fondé sur le plaisir et l’humain. « Bientôt le vrai luxe sera de porter un beau vêtement sans culpabilité » prédit Bruno Pieters.
Fanny Menceur
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