Istanbul séduit par son atmosphère, son inestimable patrimoine et… ses cliniques de chirurgie esthétique. La Turquie est ainsi devenue la première destination pour les interventions capillaires low cost.
Depuis quelques années, ils déambulent en nombre dans les rues d’Istanbul. On les croise à l’ombre de la Mosquée bleue et dans l’écrin de Sainte-Sophie. Leur curieuse silhouette se reflète dans les eaux scintillantes du Bosphore, ou dans la vitrine d’un kebab.
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Ce sont des touristes comme les autres, à ceci près que leur crâne est fraîchement rasé et enroulé de bandages ensanglantés : ils viennentde subir une greffe capillaire. Alors quele tourisme traditionnel est plombé par la menace terroriste et l’instabilité politique, le tourisme médical a le vent en poupe. Chaque mois, plus de cinq mille visiteurs se rendent en Turquie pour retrouver leur crinière d’antan.
Pourquoi partir à l’étranger alors qu’on pourrait tout aussi bien se faire opérer dans son propre pays ? D’abord pour le prix bien sûr, et ensuite pour la rapidité de la prise en charge. En Europe, après avoir attendu des semaines pour décrocher un rendez-vous, il faut se délester d’environ 10 000 euros pour une greffe selon la méthode FUE (l’extraction de follicules à l’unité). En Turquie, on peut se l’offrir dès 1 200 euros, en ne patientant qu’une dizaine de jours.
Des sites polyglottes pour les touristes frappés d’alopécie
Juan, 29 ans, a décidé de faire le voyage en novembre 2016. Il a sélectionné sa clinique depuis son canapé, en fouillant sur internet. Ce qui n’est pas une mince affaire. Des centaines de sites vantent les mérites de leurs chirurgiens, leurs techniques de pointe et leurs taux de réussite imparables, à grand renfort de montages photos “avant/après” plus ou moins crédibles – certains renvoient même à un compte Instagram, façon coach fitness ou blogueuse beauté.
La plupart des cliniques ont des sites en plusieurs langues et des antennes à l’étranger pour communiquer avec les chauves du monde entier. Outre le traditionnel standard téléphonique local, on trouve aussi un numéro de portable étranger. Ce qui permet de s’extraire d’une virtualité peu engageante quand il s’agit de passer sur le billard.
“Après une procédure médicale stressante, vous voudrez peut-être vous détendre”
A l’autre bout du fil, une “vraie personne” vous renseigne dans votre langue maternelle, puis reste à votre disposition via WhatsApp, tchat privé sur lequel elle vous enverra des photos et des vidéos de la clinique. Une façon étonnante d’attester du sérieux d’un établissement.
Pour rendre l’offre plus alléchante, on propose aux patients (clients ?) de joindre l’utile à l’agréable, et de profiter du déplacement pour faire du tourisme. “Après une procédure médicale stressante, vous voudrez peut-être vous détendre. Laissez-nous faire ce travail. Nous organisons pour vous des visites guidées, vous serez fascinés par les paysages uniques de la Turquie”, indique l’agence Healthcare Tour, intermédiaire entre les hôpitaux et les patients, auxquels elle propose quantité de services. Réservation des vols, nuits d’hôtel, obtention d’un visa, services constants d’un interprète…
En Turquie, le patient est roi
En Turquie, le patient est roi. “Le personnel est presque trop serviable pour un Occidental, trop attentionné”, explique Juan, venu d’Espagne. Ayant oublié de tenir compte du décalage horaire, il s’est présenté à la clinique avec deux heures de retard. “L’équipe médicale m’a attendu sans se plaindre, explique-t-il, toujours surpris par tant d’égards. En Espagne, non seulement le rendez-vous aurait été annulé, mais j’aurais perdu mon argent.”
Il s’est laissé tenter par le package all inclusive de Clinicana à 2 200 euros : 4 500 greffons, deux nuits dans “un hôtel 5 étoiles ultra luxe avec vue sur le Bosphore”, les repas et un chauffeur privé. Le lendemain de son arrivée, un chirurgien s’appliquait à extraire de sa nuque des centaines de cheveux pour les insérer dans les régions dégarnies, de façon totalement indolore.
Deux jours plus tard, après s’être baladé à Istanbul avec “un horrible bonnet”, Juan est de retour à Madrid avec ses documents de garantie, un kit de produits pour entretenir le gazon fraîchement planté et un numéro sur WhatsApp pour assurer le suivi. C’est là que les choses se sont corsées. Le personnel, nettement moins réactif, mettait un temps infini à lui répondre. Juan a dû consulter un dermatologue à ses frais, à Madrid.
Des petits coups de pouce du gouvernement
Aujourd’hui, de nouveaux cheveux ont poussé et Juan se dit très content de l’opération. Pour quelques centaines d’euros supplémentaires, on lui proposait même d’obtenir “un air plus mûr et plus viril avec une greffe de barbe”. Il n’a pas souhaité saisir cette belle opportunité.
Au-delà des implants capillaires, le tourisme médical est un business florissant, ce qui n’a pas échappé à la classe politique turque. Selon les chiffres communiqués au quotidien Hürriyet par Meri Istiroti, présidente du Conseil de développement du tourisme de la santé, le secteur a rapporté plus de 5,5 milliards de dollars en 2014. Et l’on escompte, à l’horizon 2023, attirer environ deux millions de patients pour atteindre les 20 milliards de dollars.
Turkish Airlines, propose une ristourne pour venir se soigner au pays
Pour ce faire, le président Erdogan file des petits coups de pouce. “Notre but est de fournir les meilleures prestations aux meilleurs tarifs, afin de faire de notre pays l’une des destinations les plus prisées dans ce domaine”, expose Selahattin Tulunay, star de la chirurgie plastique en Turquie et éminent spécialiste de la moustache.
Pour soutenir cette ambition, le gouvernement finance la moitié des coûts publicitaires des cliniques et des compagnies de tourisme médical, leurs antennes à l’étranger ou les salons auxquels ils participent. Le ministère de l’Economie apporte également son soutien à Turkish Airlines, qui propose désormais une ristourne aux passagers qui viendraient se faire soigner au pays. A trois heures de vol de cinquante villes dans le monde, Istanbul attire beaucoup d’étrangers, notamment des pays du Golfe, et de plus en plus d’Européens.
Certes, les attaques terroristes, le durcissement de la politique d’Erdogan et la très relative liberté de la presse turque refroidissent. Mais les billets d’avion ne sont pas très chers et les rues moins bondées qu’auparavant. Planifier ce type de séjour s’avère presque plus simple que de réserver ses vacances sur Booking et présente le net avantage de vous rendre plus beau qu’à votre arrivée. C’est Byzance.
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