Dans son dernier livre, Thibault de Montaigu fait l’éloge de la masturbation. Une petite anthologie de l’onanisme qui réaffirme aussi le pouvoir de l’imaginaire et de la fiction.
Nous possédons tous dans nos bibliothèques des “livres qu’on ne lit que d’une main”, pour reprendre l’expression de cet hypocrite de Rousseau, l’autre étant affairée à satisfaire le désir ardent que font naître ces textes licencieux. Mais il existe aussi, à n’en pas douter, des livres écrits d’une seule main. Voyage autour de mon sexe de Thibault de Montaigu semble appartenir à cette catégorie.
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A 36 ans, l’auteur d’Un jeune homme triste se révèle bien plus caustique depuis qu’il a délaissé l’étiquette “néo-hussard” qu’on lui avait accolée à ses débuts. Il en a déjà fait la preuve avec son précédent roman, Zanzibar, satire délirante du journalisme. Cette fois, n’ayant plus peur de passer définitivement pour un branleur, il s’attaque avec autodérision et une certaine érudition à la masturbation, dernier tabou, selon lui, de notre civilisation occidentale. A la fin du XVIIIème siècle, Xavier de Maistre faisait le tour d’une unique pièce dans Voyage autour de ma chambre ; Montaigu fait aujourd’hui le tour d’un espace encore plus réduit (sans offense) : son sexe, et plus généralement le sexe solitaire.
Réflexion sur le statut érotique, symbolique et politique de la masturbation
En mêlant des souvenirs qu’on imagine personnels, notamment un séjour en Arabie Saoudite où il a davantage contemplé les murs de ses toilettes que pu draguer les femmes (voilées, chaperonnées, interdites de conversation avec des hommes, etc.), à une réflexion sur le statut érotique, symbolique et même politique de la masturbation, Thibault de Montaigu livre une anthologie savoureuse et savante de l’onanisme. Acte libre et gratuit, hors de toute convention sociale, l’autoérotisme est ici présenté comme l’une des dernières activités humaines qui échappe au capitalisme, bien que la main invisible du marché tente de s’infiltrer dans nos sexes en nous refourguant sextoys, sexbots et autres gadgets pour nous imposer une jouissance automatisée et normée. La démonstration est étayée par des références qui vont d’Aristophane à Rihanna, en passant par sœur Emmanuelle, Foucault, Sade, Proust, Catherine Millet ou Mishima. Et bien sûr Philip Roth et Portnoy et son complexe, autre ode romanesque à la branlette.
Car ce qu’éclaire également très bien Voyage autour de mon sexe, ce sont les liens qui unissent masturbation, lecture et écriture. Toutes trois sont des activités – généralement – solitaires, des retours sur et en soi qui mobilisent notre imaginaire. D’autres ont déjà mis en lumière cette correspondance. L’écrivain Pierre Guyotat nomme ainsi l’intrication du textuel et du sexuel la “branlée avec texte”. “Il s’agit au fond de deux formes de masturbation, l’une naturelle et l’autre intellectuelle”, note Thibault de Montaigu. Qu’elle prenne l’une ou l’autre de ces formes, la masturbation, cette “écriture personnelle du désir”, n’a donc rien d’un geste stérile puisqu’elle féconde des rêveries, des images, voire des œuvres. En chanter les louanges, c’est aussi réaffirmer le pouvoir de la fiction, autre espace d’absolue liberté. Et de plaisir.
Voyage autour de mon sexe (Grasset), 280 pages, 18 €
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