Depuis un moment, elle était interdite de séjour, expurgée du vocabulaire, taboue. Voilà qu’elle refait surface, bien décidée à ne pas s’en aller comme ça.
Dès les premiers mois de l’année 2010, politiques et médias annonçaient la « sortie de crise ». Les plus enthousiastes parlaient même de « reprise », voire de « relance ».
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Ouf, cette peste, qui avait semé la panique dans les finances mondiales pendant quinze mois d’affilée, semblait enfin derrière nous. Puis, en mars, Patrick Pélata, directeur général de Renault, dit tout haut ce que tout le monde s’évertuait à taire :
« Les informations que nous avons aujourd’hui sont moins bonnes qu’il y a deux ou trois mois. Le scénario d’une reprise est de plus en plus repoussé dans le temps. »
N’empêche, à mesure que les problèmes de déficits s’aggravaient, on a cessé de parler de sortie de crise. Mieux : on a cessé de parler de crise, tout bonnement. En imaginant réduire ainsi la psychose collective.
Pendant de longs mois, un projet de programmes courts et astucieux a circulé à France Télévisions, qui ambitionnait de faire de la pédagogie autour de la crise. Courage, fuyons !
Il ne s’est trouvé aucun annonceur pour le parrainer, aucun dircom pour associer le nom de son entreprise à ce maudit mot.
« Ces manoeuvres d’évitement sont très surprenantes, commente l’économiste Olivier Pastré. Dans l’étymologie grecque ou dans l’idéogramme chinois qui la représente, la crise a le sens qu’on lui connaît aujourd’hui, mais elle signifie son contraire également, c’est-à-dire le rebond ou un nouveau départ, c’est utile à rappeler. »
Alors pourquoi cette phobie à appeler un chat un chat. Désigner le problème, c’est avancer vers une solution, non ? Comme si ne pas nommer la chose pouvait la faire disparaître !
Il faut plutôt parler de « plan d’austérité », ou « de rigueur »
Dans les églises ou les sectes, on évite de citer le diable pour éviter de le convoquer. Car une fois que Belzébuth s’est pointé, difficile de le chasser. Cette pratique magique d’exorciste ou d’illusionniste n’a pas fait la preuve de son efficacité. Mais beaucoup s’y sont quand même pliés. A défaut de crise, on a parlé de « plan d’austérité », ou « de rigueur » donc. Et, avant ça, de « croissance négative ». Belle trouvaille sémantique, qui associe deux termes contradictoires, bref bel ox ymore !
Mais parler de crise – ou pas – n’est déjà plus le sujet. On est en effet entré dans une ère nouvelle, où elle n’est plus juste un phénomène, un accident de l’histoire, mais un état durable et apparemment irréversible. Car on ne reviendra jamais en arrière, à la croissance des années 1980 ou à la félicité économique des trente Glorieuses.
Ces jours-ci, c’est l’Irlande qui mobilise l’attention, avec un plan de rescousse européen mis sur pied pour la sauver de la débâcle, comme pour la Grèce il y a quelques mois.
Et il y a quelque chose de réconfortant dans ce bel élan de solidarité : tant que ça se passe en Irlande aujourd’hui, en Espagne ou au Portugal demain, on n’est pas au bord du gouffre, nous !
Au passage, on notera que le mot crise a subrepticement refait surface. En fait, pour évoquer la « crise de l’euro », et non pas la crise tout court : politiques et commentateurs ne vont tout de même pas basculer trop vite dans le principe de vérité…
pascal.dupont@inrocks.com
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