Elles « habillent » la télé, rendent une pub radio irritante, une bande-annonce fantastique ou un documentaire caricatural. Enquête sur ces voix si clichées qui font notre bain quotidien.
« C’est différent pour le doublage cinéma« , précise Patrick Kuban, qui fait depuis neuf ans les annonces de Canal + et RTL2. « Le doublage ciné est un métier à part, même si quelques comédiens font des allers-retours. » Pour le reste, pub et « habillage » télé et radio, vous entendrez souvent Julie Bataille sur TF1 et France 3 et dans quantités de pubs, François Berland, grande voix off des jeux télévisés, Thierry Debrune, voix d’Un dîner presque parfait, de Star Academy ou de Super Nanny, Anne Ferrier, voix de France Info et Fédérique Labussière, Madame « Respirez, vous êtes sur FIP« , notamment voix de Fructis et Perle de Lait, etc.
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« Il est néanmoins étrange que vous ayez cette impression d’entendre toujours les mêmes voix partout, ces voix sont justement très versatiles« , note Simone Hérault, ancienne animatrice sur FIP et célèbrissime voix de la SNCF. Elle précise que ce n’est pas la tessiture qui est familière, à moins d’avoir une très bonne oreille, mais peut-être le jeu – souriant, promo, punchy, excité, sombre, amical – qu’empruntent les « voix » : « Moi, je n’aurai pas la même « voix » si on me demande de parler sur FIP ou pour la SNCF. »
Aux origines de la palette sonore : com’, pub et voix-caméléons
Pour comprendre d’où viennent ces clichés, il faut remonter aux années 1980, quand la pub, notamment aidée par l’ouverture des radios privées, s’est révélée sensible à l’usage marketing que l’on pouvait faire du son.
Elles ont aussi connu l’arrivée de ce que Culture Pub appellera les voix « caméléon ». « Tout à coup, au début des années 80, huit, neuf, dix personnes, comme une génération spontanée, sont apparues. Elles étaient capables de tout faire : annoncer avec un ton d’hôtesse de l’air un programme radio comme beugler le prix du kilo de veau cette semaine en supermarché, le tout en dix secondes pile. La pub s’en est emparé et pendant longtemps, sur dix pubs qu’on entendait à la télé ou à la radio, presque toutes étaient faites par ces quelques voix-là, qui ont inventé des styles et placé la barre très haut« , raconte Pierre-Alain de Garrigues.
Est-ce là la date d’invention de ces quelques personnages-voix qui habitent notre inconscient sonore ? Jean-Claude Ponroy, réalisateur au studio de production de Radio France Publicité, explique : « En partie, oui. Philippe Murgier, Jean-François Devaux et les quelques grandes stars du début et du milieu des années 1980 avaient posé les premiers jalons de la palette sonore, mais on leur demandait moins d’être polyvalents. Cette palette s’est considérablement enrichie avec ces voix-caméléons. Attention cependant : ces voix inventées viennent davantage d’une demande de plus en plus sophistiquée de la part des publicitaires que de ces comédiens qui n’ont pas une grande marge de manoeuvre. » Puis, « cette première génération, qui enregistre encore aujourd’hui, a fait des petits clones qui ont imités les voix qu’ils entendaient depuis tout petits« , confie Pierre-Alain de Garrigues.
Répéter les clichés : enjeux marketing et logo sonores
Fidèle à son penchant pour la reproduction des clichés, la pub a (re)construit ce monde imaginaire où les hommes annoncent les informations techniques ou sévères tandis que les femmes s’adressent aux femmes, accompagnent les enfants ou parfois, deviennent sexy. L’idée : caricaturer la voix de la cible visée si bien que la voix pour un produit pour enfant touchera des aigüs particulièrement stridents. « C’est la pub qui nous choisit ! », explique Patrick Kuban. « Notre difficulté, c’est de ne pas tomber dans la caricature. Si on peut parfois proposer des choses nouvelles en studio, on reste face à un annonceur avec ses objectifs et une agence de pub qui doit respecter son brief. »
Chaque chaîne, chaque marque, chaque pub a trouvé sa coloration, en s’identifiant au groupe de référence de la population qu’elle vise, et une fois établi, ce logo sonore qui fait la force du message en fait aussi tout son conservatisme. Il faut créer de la familiarité : « La voix de la SNCF, c’est quasiment une entité ; elle vit sa vie presque sans moi ! Et elle contribue au capital sympathie de la marque« , explique Simone Hérault, dont la voix, inscrite dans la charte sonore de la SNCF, est actuellement synthétisée pour l’expérimentation.
Voix de synthèse ou retour du naturel ?
« Il y a aura toujours du hard-selling et des voix extrêmement travaillées, choisies selon le format, la cible et le message« , explique Philippe Bessoussan de Studio Time, société qui a développé Casting Machine. Si changement il y a, il viendra de la volonté de certaines marques de se différencier : la voix d’Arte, inattendue, aux notes enfantines dictées par Sylvie Caspar, avait un peu décomplexé ce monde dénué d’irrégularités.
« Mais c’est très conservateur. Depuis que j’ai commencé, je n’ai pas vu apparaître beaucoup de nouvelles voix« , remarque Patrick Kuban. Interrogé sur le devenir du pire versant du métier, les pubs radio irritantes qui véhiculent les plus gros clichés, il note aussi : « Avec l’amélioration des techniques de captation et de diffusion, on est moins obligé de crier dans le micro. L’évolution de la technique joue un rôle. » Tout comme le format : « Dans la pub radio, il n’y a pas de soutien de l’image, la parodie est donc la loi du genre« , explique Pierre-Alain de Garrigues, partenaire de Daniel Prévost pour ces pubs pour U ! U ! U ! Les nouveaux commerçants.
Et la voix de synthèse ? Patrick Kuban, Pierre-Alain de Garrigues et leurs homologues, qui fondent en ce moment l’association Les Voix pour faire connaître leur métier, n’y voient pas une menace. Eux regrettent davantage l’arrivée des voix low-cost, à une heure où les écoles de voix se multiplient et promettent que votre voix vaut de l’or contre des stages coûteux. Alors à quand le retour du naturel ? Patrick Kuban et Pierre-Alain de Garrigues répondent : « On le constate un peu, notamment sur M6, bizarrement… Si un annonceur se met à vouloir une voix « naturelle », on pourra bien le faire. »
Tous les sons viennent du site Casting Machine et des sites professionnels des comédiens cités.
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