En refusant le grand spectacle au profit d’une mise en scène subtilement minimaliste, la dernière création de Yoko Taro (NieR) retrouve l’esprit des jeux de rôle sur table.
Un jeu de rôle avec des cartes. À première vue, rien de plus banal : de Baten Kaitos à Slay the Spire, on ne compte plus les RPG reposant sur un système de construction de deck pour la gestion des compétences ou des attaques de leurs personnages.
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Mais Voice of Cards va plus loin. Dans cette aventure qui nous lance sur les traces d’un dragon à travers plaines et forêts, tout est représenté sous la forme de cartes : les membres de notre équipe, les monstres qu’ils et elles affrontent, les boutiques et auberges où ils s’arrêtent pour améliorer leur attirail ou reprendre des forces, et même les zones qu’ils traversent sur la carte du monde. Ce pourrait être monotone, abstrait, froidement mécanique. C’est au contraire l’un des jeux de rôle les plus incarnés de l’année.
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Pouvoir de suggestion
La première raison de cette réussite est dans le titre. Voice of Cards : ces cartes sont accompagnées par la voix d’un narrateur en charge de décrire et de commenter les événements qui, justement, ne se déroulent pas devant nos yeux. Avec, aussi, une nuance d’ironie quand il nous fait comprendre que notre groupe est constitué d’individus globalement immatures et moyennement compétents. L’intrigue, qui part sur des bases assez conventionnelles, ne tarde d’ailleurs pas à aborder des rivages beaucoup plus étonnants en n’évitant ni le drame, ni le grotesque, ni les choix déchirants. Il faut dire que le père de Voice of Cards n’est autre que le grand Yoko Taro (NieR, Drakengard) à l’écriture toujours singulière.
Sur les plateaux qui accueillent ses combats, Voice of Cards soigne sa mise en scène finement minimaliste (les cartes se redressent, se jettent l’une sur l’autre…), mais c’est son pouvoir de suggestion qui le rend envoûtant. Et ce dernier vient de loin : des histoires au coin du feu et, plus directement, des jeux de rôle sur table, avec du papier, des dés aux formes exotiques et la voix d’un meneur de jeu qui fait tenir l’illusion collective. C’est avec tout cela que renoue Voice of Cards, jusque dans la place qu’il accorde aux dés (qu’on arrête d’une pression sur la manette : une interaction étonnamment satisfaisante) et plus généralement au hasard.
Coups de dés
On a toujours eu du mal avec les combats dits “aléatoires” qui, dans certains jeux de rôle, se lancent subitement sans que rien n’ait permis de les anticiper. Mais, dans Voice of Cards, c’est différent, tant la logique même du tirage au sort y est centrale. Le hasard, ici, est un carburant romanesque généreusement dépensé, à rebours de la logique cynique des controversées loot boxes. Que va-t-on découvrir en retournant cette carte de paysage ? Le dé s’arrêtera-t-il sur un nombre suffisant pour que notre sort de givre immobilise l’adversaire ? Impossible de le savoir avant, et c’est précisément ce qui se révèle palpitant. Alternativement confortable et tendu, porté par une voix dont on ne refuserait pas qu’elle vienne nous border le soir, Voice of Cards réussit aussi cette épatante prouesse : en nous suspendant régulièrement à son verdict, nous faire éprouver pleinement le tragique et la beauté dont peut être porteur un coup de dés.
Voice of Cards : The Isle Dragon Roars (Square Enix), sur Switch, PS4, PS5 et Windows, environ 30€
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