Dans un article, aussi partiel que partial, la chaîne britannique BBC laisse entendre que la Floride serait une cible potentielle de la Russie. Cette rhétorique de la peur est devenue un lieu commun, médiatique et diplomatique, pour justifier des dépenses militaires colossales.
Un énoncé interrogatif – les linguistes et les analystes du discours nous ont toujours avertis – n’est jamais innocent ni dépourvu de sous-entendus. Une proposition interrogative, si “neutre” se veuille-t-elle, oriente et limite par bien des aspects le champ des réponses possibles. Ceci est d’autant plus le cas quand elle s’inscrit dans l’ordre du discours politique. Un journaliste de la BBC s’est livré à ce pernicieux jeu rhétorique en titrant son article : “Pourquoi Poutine voudrait lancer une bombe atomique sur la Floride ?”. Le fait que la Floride soit une cible du président russe étant à priori acquis à ses yeux, le journaliste s’applique directement à décliner les “raisons” qui pousseraient Poutine à agir ainsi. Ses deux principaux arguments ? D’une part, Donald Trump y possède une résidence, d’autre part, la Floride attire bon nombre de touristes. Un troisième et on aurait été K.O. devant notre écran.
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Une démonstration douteuse
Sur quoi se base l’article pour défendre cette hypothèse ? Une capture d’écran d’une vidéo animée, projetée lors du discours annuel du président russe devant les deux chambres du Parlement. Si l’arrêt sur image peut bien évoquer la géographie de la Floride sur carte, il serait hasardeux d’avancer que c’est vraiment le cas. D’autant plus que l’article se dispense de toute prudence grammaticale – c’est ce dont on peut s’apercevoir dans son chapô. L’agence Reuters, qu’on ne peut soupçonner de russophilie, admet clairement qu’il s’agit d’“un territoire ressemblant à la Floride”.
La supposée menace nucléaire russe, un prétexte pour l’escalade nucléaire
Dans une large perspective, l’article de la BBC peut être appréhendé à travers un autre paru dans le dernier numéro du Monde diplomatique. Le politologue Michael Klare fournit des outils analytiques qui permettent d’inscrire cette rhétorique de la “menace russe” dans un contexte géopolitique plus large. Alors que Barack Obama s’inscrivait, dès 2009, dans une politique d’apaisement concernant la course aux armes nucléaires, la diplomatie américaine a bifurqué sur une escalade nucléaire depuis l’accession de Trump à la maison Blanche. Se basant sur le dernier rapport sur l’ “Évaluation du dispositif nucléaire” des États-Unis publié par le Pentagone le 2 février 2018, Klare observe une dangereuse escalade nucléaire entre États-Unis, Russie et Chine.
“Les États-Unis, et l’Occident en général, vivent sous la menace nucléaire russe”, telle est l’idée qui traverse l’article de la BBC. Celle-ci perd toute crédibilité quand on apprend qu’en 2016, les États-Unis “occupaient, et de loin, la première place au palmarès mondial des dépenses militaires. Avec 611 milliards de dollars, ils dépassaient la somme des huit pays suivants”, tient à rappeler le politologue américain. Attiser la peur, voilà une stratégie qui s’avère très efficace, aussi bien médiatiquement que diplomatiquement, afin de justifier des milliards de dépenses militaires. Surtout quand on apprend que les États-Unis sont déjà prêts à se doter d’un nouveau arsenal nucléaire pour une facture qui s’élève à 1200 milliards de dollars.
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