Avec « La guide de voyage Paris », Charlotte Soulary nous propose une visite féministe de la capitale, pour remettre sur le devant de la scène des femmes d’exception invisibilisées.
La guide de voyage, c’est à l’origine un blog collaboratif où sont recensés tous les lieux de la planète où les femmes sont à l’honneur. C’est lors de ses nombreux voyages que Charlotte Soulary, sa fondatrice, a l’idée d’en faire un livre: “J’en avais assez des autoroutes à touristes, et en tant que féministe, je voulais découvrir les villes et les pays, notamment Paris, avec un autre regard, celui des femmes.”
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Sorti cette semaine, La Guide de voyage Paris, illustrée par Anaïs Bourdet, met donc à l’honneur Olympe de Gouges, rédactrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, les suffragettes ou encore Berthe Morisot, pionnière de l’impressionnisme trop souvent éclipsée par ses pairs. “Ce guide offre de nouvelles clés de lecture pour découvrir Paris”, s’enthousiasme Charlotte Soulary qui espère sensibiliser au-delà d’un public d’initié·e·s, et toucher Parisien·ne·s, touristes, et voyageur·se·s curieux·ses. Rencontre.
Quelles sont les étapes obligatoires pour un·e féministe en visite à Paris?
Je conseillerais de filer directement à la librairie féministe Violette and Co, rue de Charonne, dans le XIème arrondissement. Romans, fanzines, essais, il y a tout ce dont on peut rêver pour stimuler une réflexion sur le genre. J’irais ensuite flâner vers le Café de Flore, pour découvrir le lieu où Simone de Beauvoir a passé tant de temps, puis je remonterais vers le jardin du Luxembourg où se trouve la statue de George Sand. Un bel hommage -mérité évidemment – vu le peu de statues féminines qui peuplent la capitale. Sans oublier l’Arc de Triomphe au pied duquel s’est déroulé la naissance médiatique du Mouvement de libération des femmes (MLF). Le 26 août 1970, des militantes féministes y ont scandé que “plus inconnu que le soldat, il y a sa femme”. Elles venaient de lancer le débat de l’invisibilisation des femmes dans l’histoire.
Justement, quelles sont les mesures prises pour lutter contre cette invisibilisation dans la capitale ?
Il y en a beaucoup. Je pense par exemple à l’association Aware qui milite pour revaloriser les créations des femmes artistes du XXème et XXIème siècle. Camille Morineau, sa fondatrice, est à l’origine de l’exposition elles@centrepompidou qui présentait au public le travail de plus de 200 plasticiennes. À l’époque, en 2009, l’exposition avait fait débat. Aujourd’hui, on observe à Beaubourg une quasi-parité dans l’accrochage contemporain. Preuve que lentement, mais sûrement, on avance.
“Si je devais moi-même nommer une rue ou une place, je choisirais Virginia Woolf.”
Il y a aussi la question des toponymes…
Question qui n’est pas anodine. Le nom d’un lieu public a une forte portée symbolique. C’est un signe de réussite, de reconnaissance et de respect. Les rues, places et boulevards mettent en avant nos grands hommes, pas nos grandes femmes. Anne Hidalgo, poussée par les associations féministes, œuvre beaucoup pour une toponymie plus égalitaire. Il se murmure par exemple que le Théâtre de la Ville pourrait être renommé Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, comme à son origine.
Qui fut la première femme à donner son nom à une rue?
C’est sans doute Jeanne d’Arc, figure féminine la plus consensuelle de l’histoire de France. Mais si je devais moi-même nommer une rue ou une place, je choisirais Virginia Woolf. Elle fut une inspiration tant dans mon cheminement féministe que dans la conception de ce livre. Son roman Une Chambre à soi m’a ouvert les yeux sur le poids que peuvent avoir les inégalités hommes-femmes sur la création au féminin.
En parlant de création, si vous deviez conseiller trois œuvres créées par des femmes à voir absolument…
Je citerais en premier l’autoportrait d’Élisabeth Vigée Le Brun avec sa fille. Exposée au Louvre – qui, d’ailleurs, ne compte qu’une vingtaine de femmes artistes dans ses collections permanentes – cette toile met en scène la portraitiste de Marie-Antoinette et sa fille. Simone de Beauvoir y voyait l’illustration du carcan de la maternité. Je pense au contraire que c’est une toile très avant-gardiste où Élisabeth Vigée Le Brun a voulu signifier qu’elle pouvait mener vie professionnelle et familiale de front. Plus proche de nous, on ne peut pas passer à côté de La Mariée, de Niki de Saint Phalle, exposée au Centre Pompidou, qui illustre à merveille le poids du patriarcat. À voir aussi, les œuvres des street artists du XIIIème arrondissement qui sont un bel exemple d’appropriation de l’espace public. Miss.Tic, pour ne citer qu’elle, contribue beaucoup à sensibiliser aux questions d’inégalités.
“En léguant toutes ses archives sur la lutte et l’histoire des femmes à la ville de Paris qui en fit une bibliothèque, Marguerite Durand a réussi à pérenniser un magnifique matrimoine.”
Autre femme extraordinaire, Marguerite Durand qui donne son nom à la bibliothèque des archives féministes de Paris…
C’est une héroïne. Elle était militante féministe et journaliste au XIXème siècle. En 1897, elle fonde La Fronde, un journal entièrement géré et écrit par des femmes. À l’époque, c’est une révolution. Elle militait aussi pour le vote des femmes. En 1909, elle se présente aux législatives dans le IXème arrondissement de Paris, mais sa candidature est jugée illégale. Ce parcours incroyable, elle a très bien su le valoriser. Elle est l’une des rares à avoir su “préparer l’après”, pour que son combat et ses accomplissements puissent devenir histoire et ne pas être oubliés. En léguant toutes ses archives sur la lutte et l’histoire des femmes à la ville de Paris qui en fit une bibliothèque, elle a réussi à pérenniser un magnifique matrimoine.
Paris est-elle féministe?
Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, un Musée de la Femme ou un Musée des droits des femmes serait par exemple une belle avancée. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il y a beaucoup de féministes à Paris !
Propos recueillis par Audrey Renault
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