Alors qu’une pétition et de nouveaux rassemblements ce week-end demandent la grâce de Jacqueline Sauvage, son avocate travaille à la rédaction d’un projet de loi pour la création d’une légitime défense spécifique pour les femmes battues, comme c’est le cas au Canada.
Faut-il revisiter la loi sur la légitime défense pour les femmes victimes de violences conjugales ? C’est la question que soulève l’affaire Jacqueline Sauvage, cette femme de 68 ans battue violemment par son mari pendant presque 50 ans et qui après une énième scène de violences a tué ce dernier de trois coups de fusil alors qu’il lui tournait le dos.
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Le 4 décembre dernier, sa condamnation en appel à 10 ans de prison déclenche un élan de solidarité – une page Facebook recensant les actions de soutien à Jacqueline Sauvage s’est très vite créée, une pétition sur le net pour sa grâce présidentielle a d’ailleurs rassemblé plus de 300 000 signatures, et ce samedi des rassemblements sont prévus à Paris et à Strasbourg, ils seront suivi à Paris d’un meeting sur les violences de genre – et ouvre le débat sur « la légitime défense différée ». Une initiative portée conjointement par Nathalie Tomasini, avocate de Jacqueline Sauvage et Valérie Boyer, députée LR des Bouches du Rhône, qui envisagent de déposer bientôt à l’Assemblée nationale un projet de loi en ce sens.
Au Canada, Jacqueline Sauvage aurait été acquittée
« La définition actuelle de la légitime défense suppose une concomitance entre l’agression et la riposte ainsi qu’une proportionnalité dans les actes de ripostes », explique Maitre Tomasini.
Une définition qui exclut d’emblée le cas de Jacqueline Sauvage, puisque cette dernière a pris quelques minutes pour se rendre dans sa chambre récupérer le fusil et qu’au moment des tirs son mari était de dos et non armé. Dans le cadre de la légitime défense différée, « les critères de concomitance seraient écartés« , rapporte l’avocate qui souhaite « une appréciation large des délais entre l’agression et la riposte« , « un temps certain« . Et d’ajouter: « Notre projet de loi est très proche de l’article 34.2 du code canadien qui prend en compte le sexe, l’âge, les rapports de violences antérieurs existant entre les protagonistes et l’état psychologique de de la victime« . Pour elle c’est quasi-sûr, au Canada Jacqueline Sauvage aurait été acquittée.
Elle ne serait sans doute pas la seule, même si le nombre de femmes concernées reste difficile à évaluer. Selon le ministère de l’Intérieur, en 2014, parmi les 23 femmes ayant tué leur conjoint, cinq étaient victimes de violences conjugales. Mais comme le souligne Sylvie Grunvald, membre de l’équipe de recherche de l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes* actuellement en cours, »il est difficile d’établir les conditions dans lesquelles interviennent les morts violentes sans entrer dans la spécificité du dossier« . Également professeure de droit à l’université de Nantes, elle n’est pas favorable à une modification de la loi :
« Cela ouvrirait des brèches pour tous ceux qui veulent remettre en cause la définition de légitime défense, à l’instar des syndicats policiers qui actuellement revendiquent être reconnus en état de légitime défense dès lors qu’ils sont en position de riposte. Il reviendrait alors aux ‘victimes’ de prouver que tel n’est pas le cas ».
« Il ne s’agit pas d’un permis de tuer mais d’une autorisation de se défendre »
Une inquiétude partagée par Marion Lagaillarde, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature :
« Dans les rapports de domination entrainant une situation de sidération et une incapacité pour les personnes à riposter de manière concomitante à leur agression la légitime défense peut avoir sa place, en étendre indéfiniment la période reviendrait à autoriser le meurtre par vengeance ».
De son côté Maitre Tomasini insiste : « Il ne s’agit pas d’un permis de tuer mais d’une autorisation de se défendre« . Elle invoque la nécessité « d’une radicalisation de la protection » eu égard « aux condamnations légères » à l’encontre des hommes violents qui, en correctionnelle, « dépassent rarement un an de prison avec sursis« .
« Avant de réformer la légitime défense il faudrait mieux appliquer l’ordonnance de protection«
Jacqueline Sauvage, elle, n’a jamais porté plainte, ce qui lui a d’ailleurs été reproché lors de son procès. « Les violences intrafamiliales font très peu l’objet de dépôt de plainte. C’est difficile pour les femmes de s’extraire de la menace car elles vivent sous le même toit que leur mari« , déclare Christelle Hamel, sociologue responsable de l’enquête sur les violences de genre à l’Institut national des études démographiques (INED), « avant de réformer la légitime défense il faudrait mieux appliquer l’ordonnance de protection« , c’està dire l’éviction du conjoint violent du domicile conjugal. « Une idée excellente, reconnaît Marion Lagaillarde, même s’ il y a encore du boulot pour rendre le dispositif efficace« .
« Aider les femmes à sortir de la violence plutôt que de modifier la légitime défense« , c’est aussi ce que prône Ernestine Ronai, responsable de la mission interministérielle de la protection des femmes (Miprof), qui par ailleurs soutient la demande de grâce présidentielle… dont la réponse se fait toujours attendre.
Sophie Courval
* Rassemblement à Paris, 10h30 place de la Bastille, Strasbourg, 14h place Kleber.
*Enquête nationale sur les violences subies et les rapports de genre (VIRAGE) menée à l’INED.
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