Dimanche 17 novembre, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a déclaré être “favorable” à une levée du secret médical pour les femmes victimes de violences conjugales, et ce, sans leur consentement. Médecins et militantes féministes dénoncent une prise de position dangereuse.
Nous sommes le 18 novembre et depuis le début de l’année, 135 femmes ont été tuées par leur conjoint ou par leur ex. C’est beaucoup plus que l’année dernière (121 féminicides sur l’ensemble de l’année 2018). Parmi les recours disponibles pour les femmes victimes de violences conjugales, le médecin semble être l’un des premiers maillons de la chaîne. C’est d’ailleurs ce que revendiquent 65 médecins dans une tribune publiée dans L’Obs lundi 18 novembre, où ils appellent à agir “pour repérer et prévenir les violences conjugales et sexuelles”.
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La veille, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a déclaré dans le JDD être “favorable” à une levée du secret médical “notamment pour résoudre les situations dans lesquelles la victime ne peut pas saisir la justice, et si c’est une possibilité offerte au médecin”. « Il est nécessaire de dépasser le secret médical. Ça fait appel à l’éthique du médecin : s’il voit qu’une femme se fait massacrer, ça me choquerait qu’il ne le dise pas”, a-t-elle indiqué.
Un danger d’exposition
Dans leur tribune, les signataires demandent que le corps médical soit reconnu comme “personne ressource, premier recours de la femme victime”. Ils appellent également les praticiens à utiliser systématiquement les outils de dépistage de violences conjugales comme les questionnaires WAST (Woman Abuse Screening Tool), déjà disponibles en France. Signataire du texte, Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, rappelle cependant aux Inrocks combien “la confidentialité est indispensable dans la relation médecin-patient”. “C’est une proposition absolument déconcertante pour toute personne qui a déjà fait de l’accompagnement de victime”, ajoute auprès des Inrocks Fatima Benomar, militante des Effronté-e-s et de Nous Toutes, qui regrette que les associations de lutte contre les violences faites aux femmes aient été absentes du Grenelle sur les violences conjugales. “Médiatiser la levée du secret médical de la sorte porte à confusion, et risque d’effrayer un tas de femmes qui n’oseront plus se tourner vers leur médecin”, met elle en garde. Et de pointer le danger “d’exposer les femmes à des représailles sans leur consentement”.
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Rappelons qu’en France, une femme sur dix est victime de violence conjugale, une femme est tuée les trois jours par son ex ou son conjoint, et une femme violée toutes les sept minutes. Un résultat est pourtant surprenant : dans une enquête du Centre Hubertine Auclert auprès des professionnels de santé de onze Centres médico-psychologiques, ces derniers déclarent ne “jamais” ou “rarement” recevoir des femmes victimes de violences. Pourtant, la docteure Marie Le Bars, signataire de la tribune, révèle dans ce travail qu’un médecin généraliste reçoit 25 patients en consultation par jour, et donc, statistiquement, entre deux et trois femmes victimes de violences conjugales.
L’urgence de la formation
Conseils, écoute, prise en charge… Avec l’accord de la patiente, le médecin peut alors faire un signalement auprès du procureur. Encore faut-il que ce dernier soit en mesure de repérer les victimes de violences conjugales. “Il est urgent de développer la formation des médecins sur ces questions-là, insiste auprès des Inrocks Muriel Salmona. Il faut que le corps médical sache poser les bonnes questions, faire un certificat médical adéquat, orienter la patiente, et dénoncer les faits au procureur.” Elle ajoute : “Et la priorité est de le faire avec son accord libre et éclairé.”
Pour autant, il faut ensuite que les commissariats enregistrent correctement les plaintes, et qu’elles ne soient pas ensuite quasi systématiquement classées sans suite. “A partir du moment où un danger est évalué par les médecins, il faut que toute la chaîne se mette en marche de façon efficace”, martèle Muriel Salmona. Rendu public dimanche, le rapport de l’Inspection générale de la justice révèle en effet que 80 % des plaintes pour violences conjugales entre 2015 et 2016 ont été classées sur décision du Parquet. “L’instauration d’une ordonnance de protection ou le téléphone grand danger sont des outils disponibles et efficaces. Mais encore faut-il qu’ils soient mis en place de façon immédiate après le signalement du médecin auprès du procureur. Et pas quinze jours après comme c’est encore malheureusement trop souvent le cas”, conclut la psychiatre.
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