Votée par le Parlement européen, la prolongation des droits des interprètes fait débat : cette apparente victoire menace la transmission du patrimoine musical.
Johnny Hallyday doit une fière chandelle au Parlement européen : grâce à une nouvelle disposition, il touchera des droits en tant qu’interprète sur ses premiers titres jusqu’en 2031, et non plus jusqu’en 2011. Jusqu’à présent un interprète touchait des droits pendant cinquante ans après le premier enregistrement. Moins que les auteurs-compositeurs qui eux étaient rémunérés pendant soixante-dix ans. Une inégalité de traitement aujourd’hui gommée par le Parlement européen qui aligne la durée des droits des interprètes sur celles des auteurs-compositeurs : soixante-dix ans pour tous.
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Pour Isabelle Feldman, directrice des affaires juridiques et internationales de l’Adami (Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes), qui se bat depuis plus deux ans pour l’établissement d’un tel texte, “c’est un premier pas, le début de la victoire pour les artistes”. Côté producteurs, on a la banane : les maisons de disques profiteront vingt ans de plus de leurs meilleurs filons. Les compiles ou remixes des oeuvres des Beatles ou de Gainsbourg vont fleurir. Au détriment de la création et des nouveaux talents ?
Cette disposition ne fait pourtant pas l’unanimité dans l’industrie de la musique. Si les organismes d’interprètes et de producteurs sont en majorité satisfaits, les éditeurs du domaine public voient, eux, leur travail de mise à disposition du patrimoine sonore menacé. En effet, l’extension du domaine protégé à soixante-dix ans réduit le terrain des éditeurs phonographiques qui puisaient dans des oeuvres tombées dans le domaine public : ces oeuvres, pas assez rentables pour leurs maisons de disques, mais trop jeunes pour le domaine public, risquent l’oubli.
Patrick Frémeaux, cofondateur de Frémeaux et associés, éditeur phonographique qui fournit un réel travail de réédition et de référencement, craint la disparition d’un patrimoine musical qui participerait pourtant à l’exception culturelle vantée par Nicolas Sarkozy : “C’est la disponibilité de la mémoire collective qui est en jeu. Aux Etats-Unis et au Brésil, cette loi a conduit à un désert sur les patrimoines. Les rééditions des titres de jazz, la musique des années 40 ou 50 tendent à disparaître. Le même schéma va se reproduire en France, toute l’histoire de la musique peut tomber dans l’oubli.”
Plus que l’enjeu économique, plutôt faible dans le milieu de la réédition (pour l’intégrale de Charles Trenet, les ventes de Frémeaux et associés n’ont pas dépassé les mille exemplaires), c’est l’enjeu culturel qui est mis en avant. Jérôme Roger, directeur général de l’Upfi (Union des producteurs phonographiques français indépendants), avoue : “Nous avons soutenu cette directive, mais il faudra voir à l’usage. La musique doit continuer à être transmise à travers les générations.”
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