Investie par les sponsors et les pros de la com, l’app vidéo de Twitter a hissé une poignée d’inconnus au rang de quasi-stars. Jusqu’à intéresser les tabloïds autour d’une histoire d’amour entre viners qui a fini en procès pour tentative de viol.
Un an et demi après son lancement, que se passe-t-il du côté de Vine ? Lancée en grande pompe par Twitter début 2013, l’application de videoblogging n’est certes pas encore parvenue à s’imprégner dans les pratiques digitales aussi fortement que ses concurrents de la flotte Facebook : Instagram culmine à 200 millions d’utilisateurs inscrits, Snapchat compte déjà 60 millions de comptes. Vine se vante de ses 40 millions d’inscrits, mais reste très opaque quant à la proportion d’utilisateurs vraiment actifs (les fameux « monthly active users » qui font la pluie et le beau temps sur les plateformes de téléchargement mobile). Pas de panique non plus : taillée pour le placement de produit, l’application a déjà considérablement attiré l’œil des annonceurs publicitaires.
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Car pendant ce temps, coupée du grand public par le caractère encore balbutiant des pratiques sur Vine, la petite foule d’utilisateurs du service s’est bien agitée. En vase quasi-clos, elle a développé des réflexes, une subculture, une hiérarchie. Un rapide coup d’œil au top des Viners les plus suivis permet d’en prendre une bonne mesure : peu de stars (il faut aller jusqu’à la 33e place pour y trouver le rappeur Tyler, The Creator), à la place desquelles s’enchaînent des noms qui vous seront très probablement totalement inconnus si vous n’êtes pas un inconditionnel du réseau : Nash Grier l’ado beau gosse aux airs de One Direction, Brittany Furlan et son humour de vieille fille siphonnée, l’homme-orchestre Nicholas Megalis, etc. Ils n’amassent pas des millions mais signent déjà de juteux contrats, comparé à l’existence de nobodies dont l’application les a sortis : 3000 dollars pour une simple mention de la chaîne Wendy’s dans un Vine, par exemple.
Dorénavant, ils vivent presque tous à Los Angeles où, les uns apparaissant dans les Vines des autres, il forment une sorte de Hollywood au format six secondes, un star-system dans un dé à coudre : reste que les millions de followers des utilisateurs les plus suivis ne laissent pas les sponsors indifférents, et que ces inconnus devenus des micro-stars sont en train de perdre les pédales.
Romances digitales et plaintes pour agression sexuelle
Rien ne donne mieux la mesure du déboussolage absolu qui sévit sur Vine que l’affaire opposant Curtis Lepore à son ex Jessi Smiles, tous deux dans le top 20. Elle, vingt ans, latina farouche aux ambitions de popstar, un soupçon de moquerie dans un regard qui rappelle celui de Sasha Grey. Lui, dix ans de plus, ancien chanteur de punk hardcore (joli brin de voix crust, corps couvert de tattoos), reconverti dans la vidéo cartoonesque en six secondes, où il ne lésine pas sur les moyens (costumes, effets, musiques, etc.). En août 2013, alors qu’ils s’enhardissent tous deux de leur soudain statut de star, le réseautage naturel du service (mentions, appels du pied, revines, etc.) les rapproche peu à peu. Ils se prêtent au jeu et commencent à gazouiller à distance, s’envoient des déclarations d’amour en lip-sync, excitent les fans en commentaires. Le reality-show atteint son climax lorsque leur manager commun, Collab, organise leur première rencontre IRL devant une foule de viners en plein délire, évidemment tous munis de smartphones venus voir leurs vedettes s’embrasser pour la première fois.
L’un utilise-t-il l’autre (l’affaire est évidemment très payante en followers) ? Difficile à dire, toujours est-il que Jessi Smiles déménage à Los Angeles où la romance digitale se poursuit : Vines à deux, chansons d’amour et doux baisers. Jusqu’à la douloureuse chute : le 31 août, Curtis Lepore tente de la violer. L’affaire est délicate : elle l’accuse d’avoir profité de son sommeil pour essayer d’abuser d’elle ; lui se défend en prétendant n’avoir cherché qu’à la réveiller par des câlins amoureux. Trois semaines plus tard, la police l’arrête à Hollywood. Il est relâché le lendemain avec une caution de 100 000 $.
Pendant les mois d’instruction qui suivent, entre déclarations publiques et allégations de sites people ajoutant de l’huile sur le feu, des quantités de Vines disparaissent des deux comptes, effaçant leur passé de tourtereaux, remplacés par des messages aux fans les remerciant « pour leur soutien » (justice populaire version moderne : les tags #teamjessi et #teamcurtis apparaissent). En janvier, Curtis plaide non coupable à l’accusation de viol ; le site gossip TMZ les propulse dans les tabloids le lendemain. Deux mois plus tard, son avocat finit par le convaincre de plaider coupable pour tentative de viol. Jessi retire l’accusation de viol.
Six secondes de célébrité
« À l’avenir, chacun aura droit à son quart d’heure de célébrité mondiale » : en le resserrant à six secondes, Vine pousse l’adage d’Andy Warhol à un degré que le pape du pop art n’avait peut-être pas anticipé. C’est tout le cynisme de cette histoire : après que de l’eau a coulé sous les ponts et que la vie a repris son cours, Curtis Lepore déclarera au magazine Rolling Stone, où l’on peut lire une chronique approfondie de l’affaire, qu’il sera désormais compliqué pour lui de se « rebrander », d’imposer à nouveau sa marque. Il n’y a pourtant pas perdu trop de plumes. À 5 millions de followers, il reste un des viners les plus suivis, de même que Jessi Smiles, à la 16e place du classement. La vie continue, et même elle commence à peine : les sponsors continuent d’affluer (en juin, une gigantesque campagne Badoo arrose tout le haut du tableau), l’application se développe. C’est le beau temps après la pluie, et même après la grosse tempête (dans un verre d’eau, mais tout de même). L’avenir est peut-être radieux, quel qu’en ait été le prix, mais il l’est tout autant pour les stars de Vine que pour les tabloids qui, désormais, les suivent de près.
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