Ce 15 novembre, après plus de trois mois d’incertitudes, le militant antifasciste et anticapitaliste Vincenzo Vecchi a été remis en liberté. La cour d’appel a constaté “l’irrégularité” du mandat d’arrêt européen concernant la condamnation de l’Italien pour les événements du G8 de Gênes en 2001. Retour sur la mobilisation qui a eu lieu autour de lui.
Vincenzo Vecchi est libre. Plus de trois mois après son arrestation spectaculaire à Rochefort-en-Terre (Morbihan), la cour d’appel de Rennes a constaté l’“irrégularité” du mandat d’arrêt européen concernant la condamnation de l’Italien pour les événements du G8 de Gênes en 2001, comme le relate Mediapart. “Le mandat d’arrêt européen reste une procédure très problématique, qui restreint les garanties, nous écrit par mail l’écrivain Eric Vuillard, membre du Comité de soutien. Un mandat est valable dans toute l’Union européenne, mais la décision qui l’infirme n’est valable que dans le pays où elle a été prise. C’est donc un outil qui privilégie la répression et néglige dangereusement les libertés publiques. Vincenzo Vecchi est à présent libre, mais en France”. C’est l’épilogue d’une lutte qui a commencé dès son arrestation.
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Sur la place de la République, le 19 août dernier à Paris, une chorale improvisée chante une triste mélodie italienne. Son thème transparaît dans son titre : Carcere, “la prison”. Il s’agit d’une chanson sicilienne, sur un homme condamné à perpétuité, et qui meurt enfermé. La soixantaine de personnes réunies ce jour-là derrière une banderole “Libérez Vincenzo” espère justement que l’incarcération sera épargnée à leur ami, Vincenzo Vecchi. Cet ex-militant altermondialiste italien a été arrêté le 8 août, près de Rochefort-en-Terre (Morbihan), où il habitait depuis huit ans. La brigade nationale de recherche des fugitifs (BNRF) a cueilli ce peintre en bâtiment de 46 ans en fin de matinée, à l’abri des regards, alors qu’il rejoignait un chantier. Le lendemain, l’appartement de son ex-femme à Milan était perquisitionné pendant près de quatre heures.
En cause, deux mandats d’arrêt européens émis par la justice italienne. Celle-ci l’a condamné à douze ans et demi de prison pour “saccages et pillages” lors du contre-sommet du G8, à Gênes, en 2001, et à quatre ans pour violence et participation à une manifestation antifasciste non-autorisée à Milan, en 2006. Ce dernier événement est moins connu. Plusieurs sources italiennes rappellent les faits : le 11 mars 2006, le parti néofasciste italien Mouvement social avait reçu l’autorisation de manifester à Milan, à quelques jours de la commémoration de l’assassinat de Davide Cesare (dit Dax), un militant antifasciste poignardé par deux militants d’extrême droite en 2003. Vincenzo Vecchi a donc participé à la contre-manifestation non déclarée qui a eu lieu quelques jours avant. Après des heurts avec les forces de l’ordre, dix-huit personnes avaient été condamnées à quatre ans de réclusion pour “dévastation et saccage”, en juillet 2006.
“Il n’était pas en ‘cavale’: ça fait huit ans qu’il habitait là !”
Ses proches ignoraient ses déboires avec les autorités italiennes, et témoignent de son insertion à la vie locale de Rochefort-en-Terre. Ils rejettent en chœur les termes de “cavale” et de “fugitif” qui lui sont accolés. “On l’a traité comme si c’était un terroriste, or il n’était pas en ‘cavale’: ça fait huit ans qu’il habitait là ! Il ne voulait simplement pas faire cette peine en Italie, et j’aurais peut-être fait la même chose à sa place”, s’indigne Anne-Marie, une amie qui habite entre Paris et ce petit village du Morbihan où il avait élu résidence. Un mois avant son arrestation, elle avait célébré l’anniversaire de “Vincent” avec des amis. Ils lui avaient offert un sac étanche pour faire du canoë sur l’Oust, la rivière proche. A les écouter, sa vie était devenue un fleuve tranquille.
Impliqué dans la vie associative, Vincenzo participait à l’organisation du festival de chorale “A travers Chant”. De politique, il parlait peu, ou en cercle très restreint. “Dans le village tout le monde le connaissait, c’est quelqu’un qui assume ses idées, mais personne n’était au courant son passé”, rapporte Hélène, la soixantaine, qui le connaît depuis huit ans, la voix cassée par “la colère, la tristesse et la révolte” qu’elle ressent.
“Je pleure encore parfois”
A l’unisson, ses proches décrivent Vincenzo comme quelqu’un de discret, bénévole assidu au Café de la pente, le bar associatif du coin, et par ailleurs bassiste dans le groupe Mon Coiffeur est mort – du rock à texte. “C’est une belle personne, j’ai pleuré en apprenant son arrestation, et je pleure encore parfois, car je ne peux me résoudre à l’imaginer en prison pour 12 ans. Ceux qui ont été condamnés en 2001 y sont toujours !”, s’émeut Anne-Marie, le regard triste.
Pour preuve de la sympathie qu’il suscitait, ses soutiens rappellent que le jour de sa comparution (en vue de sa remise aux autorités italiennes), 300 personnes se sont rassemblées devant le tribunal de Rennes – “c’est la moitié de la population du village, c’est dire s’il était apprécié !”. Ce jour-là, un supplément d’information a été requis concernant les mandats d’arrêt qui pèsent sur Vincenzo, jugés incomplets. L’audience doit être délibérée le 23 août, en même temps que la demande de mise en liberté qu’il a formulée. Son conseil conteste la possibilité de sa remise à l’Italie, car “l’Etat qui a émis ces mandats d’arrêt ne justifie pas de l’ensemble des critères requis”, explique aux Inrocks Me Maxime Tessier, collaborateur de Me Catherine Glon, l’avocate de M. Vecchi.
“La vengeance d’Etat en Italie a la vie dure”
Ce qui indigne particulièrement les soutiens de l’ex-militant altermondialiste, c’est l’utilisation d’une loi datant de l’ère de Mussolini pour le condamner – le code Rocco. L’ombre de Salvini, le vice-président italien d’extrême droite (qui a fait référence au duce en réclamant “les pleins pouvoirs” il y a quelques jours), plane sur le cas Vincenzo Vecchi. “La vengeance d’Etat en Italie a la vie dure, elle traverse les périodes et les dirigeants”, maugrée Hélène.
Dans le petit groupe venu témoigner de sa solidarité à Paris, certaines personnes sont bien placées pour parler de répression. L’historien Alessandro Stella, 63 ans, ancien membre d’un groupuscule affilié au mouvement Autonomie ouvrière en Italie dans les années 1970, fait une brève apparition. Il fait partie des centaines d’activistes italiens qui se sont réfugiés en France dans les années 1970 – 1980, qui les a accueillis à condition qu’ils renoncent à la lutte armée. Tout comme Oreste Sclazone, resté pendant toute la durée du rassemblement en soutien à Vincenzo Vecchi ce 19 août. Ce vieil homme fantasque de 72 ans, qui enchaîne cigarette sur cigarette, est le fondateur de Potere operaio (Pouvoir ouvrier) avec Toni Negri. Il a été touché par l’arrestation de Vincenzo Vecchi : “D’abord, j’ai ressenti une tristesse presque physique devant ce rapt, auquel on pouvait s’attendre car l’Etat est toujours aux aguets, mais qui arrive cependant toujours de manière impromptue. J’étais au courant, comme ‘tout le monde’ en Italie, de ses condamnations, et j’ai considéré à plus forte raison qu’il méritait ma solidarité”.
Il rappelle qu’en 2001, la réaction disproportionnée des forces de l’ordre face aux altermondialistes avait marqué les esprits : il y avait eu 600 blessés parmi les manifestants, et un mort, Carlo Giuliani. Le chef de la police italienne a même reconnu que certains avaient été torturés. Dix militants avaient été identifiés et avaient écopé de peines pour l’exemple, allant jusqu’à quinze ans de prison. En 2008, treize hauts responsables de la police italienne ont été condamnés à quatre ans de prison, mais aucun n’a purgé sa peine, comme le rappelle Libération. “On ne peut pas être dupes, ce n’est pas la première fois qu’on assiste à un abus en chaîne de la sorte”, estime Oreste Scalzone.
“Vincenzo est un exemple”
La perspective de voir Vincenzo Vecchi remis aux autorités italiennes sous la férule de Salvini fait aussi frémir ses soutiens. “Il serait rendu à un gouvernement d’extrême droite, alors qu’il a été pris dans une manifestation antifa à Milan… Sacré symbole”, remarque Hélène, amère. Le regard perdu dans le vide, Anne-Marie conclut par des méditations inquiètes : “Vincenzo est un exemple – un mec bien, fier de ses convictions – dont on veut faire un autre exemple – un trophée. Qu’il ait participé à ces manifestations, ça nous le rend presque plus sympathique encore, car il assume ses idées, c’est beau”.
Article mis à jour le 15/11/2019 à 14h33, après l’annonce de la libération de Vincenzo Vecchi.
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