La culture a toujours investi l’espace urbain d’une façon ou d’une autre mais pas la psychanalyse. Laurent Petit s’est essayé au concept et a inventé « la psychanalyse urbaine ». Une étude insolite et drôle pour traiter de réelles problématiques liées au tissu urbain. Décryptage.
« On peut considérer cet ouvrage comme un cadeau qui aurait pour nom Youpi Yeah. » Cette première phrase de la page 1 de l’ouvrage La ville sur le divan : introduction à la psychanalyse urbaine de Laurent Petit donne le ton. L’auteur est le cerveau de cette nouvelle discipline qu’il appelle la psychanalyse urbaine. Chemise bleu au col abimé, cravate large à motifs décolorés, cheveux en pétard et lunette de travers, Laurent Petit a la dégaine débraillée du scientifique fou. « Pour créer la psychanalyse urbaine je me suis basé sur la pensée et les écrits de Sigmund Freud » explique-t-il. Ainsi les cinq psychanalyses sont devenues cinq villes, les huit commandements s’appliquent maintenant à l’urbanisme, et le ça, le moi et le surmoi se sont transformés en « ça », « toit » et « surtoit ».
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Il créé l’Agence nationale de psychanalyse urbaine
Cet ingénieur de formation en a vite eu assez de la sédentarité de son travail. Il devient alors jongleur, clown, adepte des spectacles de rue et guide de visite burlesque du patrimoine. Il rencontre le collectif d’architectes EXYZT qui attire sa curiosité « Ils inventent des mondes où la fiction se mélange à la réalité. Ils créent une sorte d’architecture éphémère » éclaire-t-il. Mais c’est après avoir assisté à la finale du championnat de France de psychanalyse qu’un urbaniste a remporté, que l’idée lui vient d’allier ces deux sciences afin de psychanalyser des agglomérations entières. Laurent Petit se lance dans la création de l’ANPU soit l’Agence nationale de psychanalyse urbaine. Un collectif qui s’occupe de consulter les habitants afin d’améliorer l’urbanisme de la zone dans laquelle ils habitent
Depuis ses débuts en 2003, L’ANPU a déjà vue défiler sur son divan une cinquantaine de cités : Hénin-Beaumont, Rennes, Angers, Aix-en-Provence, Marseille, Alger, Tours, Vierzon… Son objectif : un projet d’analyse du monde – car Laurent Petit caresse l’idée de guérir le monde entier d’ici « 2017. Avant on pensait faire ça pour 2012-2013, mais il nous faut encore un quinquennat » dit-il avec l’air sérieux d’un président de la République. Liban et Pologne sont sur la liste des prochains lieux à psychanalyser.
Entre absurde et vérité
Tout en tripotant son ordinateur pour montrer différentes photos et images d’archives ce psychanalyste aux allures de personnages de BD raconte satisfait : « Les politiques des villes font appel à nous pour qu’on dresse un diagnostic urbain des lieux. » Après avoir « couché les habitants sur le divan », soit des simples transats, l’équipe de l’ANPU leur soumet un questionnaire chinois « Je veux que les habitants me parlent de leur ville comme si c’était une personne. Seulement comme ça on a droit à des réflexions profondes et poétiques. Après on mélange leurs réponses avec celles des spécialistes comme des historiens, des architectes et des économistes qu’on a rencontrés » poursuit Laurent Petit. Ce n’est qu’après avoir tout mixé que l’ANPU livre son diagnostic lors de performances devant élus et habitants. Ces pseudo-conférences conduisent à porter un tout autre regard sur la ville. Ici on identifie un PNSU « point névro-stratégique urbain » qui amène à un TRU « traitement radical urbain » pouvant se transformer en ZOB « zones d’occupation bucolique ». L’ANPU détecte les problèmes et tente d’apporter une solution en reconstituant « l’arbre mythologique» de la zone urbaine examinée en se basant sur son vécu social, ses légendes urbaines et ses traumatismes historiques.
Mélange de farfelue et sérieux, ces conférences jouent avec l’ambiguïté avoue-t-il « on n’est ni dans un discours politique, ni moralisateur. C’est au spectateur de décider si il assiste à un spectacle ou à une conférence. » Et souligne « mais souvent par l’humour on fait passer plus de messages qu’on ne le pense. » Laurent Petit se considère comme « un artiste avec une dimension sociale et dynamique ». L’alliance entre absurde et vérité lui vaut une notoriété grandissante « aujourd’hui on est accepté par le milieu des urbanistes. On nous appelle pour des conférences, pour donner des cours à la fac. C’est une satisfaction. »
Le directeur de l’ANPU a la blague et le jeu de mot facile « c’est peut-être un de mes défauts…mais avec un peu d’humour la discipline devient plus accessible. » Conscient des limites de sa science, il veut améliorer certains points « Nos projets pour les villes de demain devraient être plus concrets et réalisables pour que ça marche mieux » admet le savant. Des cimetières festifs, des terrains de cabanon, des piliers en voitures recyclées, une île en conteneurs ou encore des habitats sociaux dans des épaves de navires rénovées…Tant de projets à la frontière entre l’utopique et le réalisable.
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