L’ex-footballeur professionnel se lance dans la campagne des municipales à Paris sur la liste soutenue par la France insoumise. Novice en politique, il espère participer à un “soulèvement des classes populaires”.
Quand Vikash Dhorasoo croise Kery James, le 8 décembre, à la marche des mères des lycéens humiliés par la police à Mantes-la-Jolie, un sourire sincère et admiratif s’affiche sur son visage. Entre le rappeur engagé contre les violences policières et lui, l’ex-footballeur professionnel (à l’Olympique lyonnais, au Milan AC, au PSG) engagé à gauche et longtemps qualifié d’intello, le courant passe forcément.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans un café du XVIIIe arrondissement où il a ses habitudes, sur la butte Montmartre, il s’ouvre sur ce goût pour les esthètes qui “sont dans la bagarre” : “J’entends plutôt des gens dans l’air du temps, qui sont attirés par le pouvoir. Donc quand je vois Nekfeu à Nuit debout puis avec les Gilets jaunes, la reine Aya Nakamura ou Booba – qui a dit des choses très politiques dans Brut récemment -, je me dis qu’ils sont à la hauteur de l’urgence. On a peur du politique, on s’en méfie, mais moi je crois en la politique.”
En un peu plus d’une demi-heure d’un entretien mené à un rythme de sprinter, Vikash Dhorasoo renvoie à pléthore de personnalités qu’il met dans son Panthéon : Toni Morrison, Alain Badiou, Edgar Morin, Michel Serres, Edouard Louis, Pénélope Bagieu, Ernest Pignon Ernest, Jean Ziegler, Virginie Despentes, et bien sûr Diego Maradona. “Ce sont des gens qui n’ont pas oublié d’où ils viennent, qui continuent de s’intéresser aux autres, et pas à leur petit mètre carré. La vie est avec les autres”, philosophe-t-il.
https://twitter.com/vikash_dhorasoo/status/1203746388208693248
“Ce n’est pas parce que je deviens privilégié, que j’ai oublié d’où je viens”
Ne pas oublier d’où il vient : voilà le mantra de Vikash Dhorasoo, qui endosse depuis début novembre les couleurs de la liste “Décidons Paris”, soutenue par la France insoumise (LFI), aux municipales. Lui est né en 1973 à Harfleur dans le quartier de Caucriauville, en banlieue du Havre, où son père, “syndicaliste, militant”, était tuyauteur sur les chantiers navals. A l’époque où il commence à taper dans la balle en bas de son immeuble (il l’a raconté en beauté dans Les Inrocks en 2011), son frère lui fait écouter The Smiths et le Velvet Underground. Il est depuis fan absolu de la musique de l’Haçienda (le club mythique de Manchester).
Avec beaucoup d’animation, il cite en vrac les Stone Roses, New Order, les Happy Mondays, The Charlatans, My Bloody Valentine… Il place cependant les Pixies, qu’il a vus à l’Exo 7 à Rouen, au sommet de la pyramide. Dans les années 1980, son père est victime du chômage : “Quand il est rentré du travail on était contents, on ne pensait pas que c’était dramatique. Mais pour lui ça l’était. Il a passé sa vie sous cachetons. Il est mort avec 30 % d’amiante dans le corps. On lui a filé 5000 boules.” Un ange passe.
Cette condition sociale populaire, le quadra à la barbe fournie et aux cheveux invariablement en pagaille la garde présente à l’esprit. A ceux qui saluent son talent de footballeur, son mérite, l’exemple de self-made-man qu’il incarnerait, il répète sans cesse qu’il n’y est pour rien, qu’il le doit à “la France” : “J’y suis né, c’est un truc incroyable qui m’est arrivé ! Mes parents sont arrivés de l’île Maurice pour mieux, pour nous [pensant à sa fratrie, ndlr]. J’ai bénéficié du système social français, j’avais un club subventionné, avec des bénévoles. Tout cela fait que j’ai pu exister. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui je deviens riche, privilégié, bourgeois, que j’ai oublié d’où je viens. Il faut renvoyer l’ascenseur.”
"Je ne me suis pas fait tout seul, je me suis fait grâce à la France" @vikash_dhorasoo #ONPC pic.twitter.com/HgJ5neR6WO
— On n'est pas couché (@ONPCofficiel) November 30, 2019
Racisme et mépris de classe
Le déclic de son engagement pour les municipales a eu lieu en jouant au foot sur le petit terrain du square Burq, dans le XVIIIe arrondissement. Les habitants de ce “quartier riche” se mobilisaient pour le faire retirer. “Ils pensaient que le terrain était leur jardin. Ils privatisaient l’espace public, devenaient des physio du parc, décidaient de qui entrait… En enlevant ce terrain, ils voulaient enlever la population nouvelle qui venait, issue d’un milieu social défavorisé, avec un fond de racisme et de mépris de classe. Nous, on s’est mobilisés”, énonce-t-il simplement. Cette petite victoire lui donne le goût du combat – il avait déjà des prédispositions, ayant été parrain de l’ONG Oxfam et du Paris Foot Gay notamment.
S’il s’engage aujourd’hui en politique, ce n’est donc pas pour faire carrière, mais parce qu’il croit en la “politique autrement : avec les gens, pour eux, les plus précaires”. Il y a longtemps, Vikash Dhorasoo a voté PC au Havre. Il a aussi soutenu Bertrand Delanoë à la mairie de Paris. Depuis, il est devenu méfiant, abstentionniste même. Il en veut à François Hollande, ce “président libéral”, qui a “donné au privé” : “Cette gauche-là sait bien faire ça”, lâche-t-il. Il a cependant rencontré Anne Hidalgo, avant de se lancer en tandem avec Danielle Simonnet. Il a rejoint l’appel de “Décidons Paris” parce qu’il “lui ressemble” sur le plan des valeurs, mais il n’aura “jamais” de carte de parti.
>> A lire aussi : Rencontre entre Ruffin et Guédiguian : “Transformer l’angoisse en espérance”
“On n’est pas des clients !”
L’essentiel, pour l’ancien milieu offensif, qui fut aussi joueur de Poker (il dit depuis être passé au Cluedo, auquel il joue souvent avec ses deux filles), c’est de provoquer “un vrai soulèvement des classes populaires”. Le matin même du jour de notre rencontre, il était à Porte de la Chapelle, où un centre de foot en salle a fermé il y a un an. Pensant au prix de la location du terrain, il s’enflamme : “Qui peut aller se payer ça ? Il va falloir être riche pour vieillir, pour s’éduquer, pour se soigner, pour faire du sport… Il faut être riche pour tout ! Paris ne doit pas être au service des multinationales, mais des habitants. On n’est pas des clients !”
Décroissant convaincu, sensible au discours de François Ruffin lorsqu’il prône “Moins de biens, plus de liens !”, Vikash Dhorasoo sait que le terrain politique est miné. Mais il s’y connaît en passements de jambes. Et il est persévérant : “Il reste cinq minutes et on perd trois / zéro ? Je pense encore qu’on va gagner quatre / trois !”
{"type":"Banniere-Basse"}