Huit ans d’analyse de la télévision “réellement existante”. Une actualisation mordante de l’essai retentissant de Pierre Bourdieu, Sur la télévision.
Vingt ans après la sortie de l’essai de Pierre Bourdieu Sur la télévision, celle-ci est-elle toujours le “formidable outil de maintien de l’ordre symbolique” qu’élucidait le sociologue ? C’est ce qui ressort de Ma vie au poste – Huit ans d’enquête (immobile) sur la télé du quotidien du journaliste de Télérama Samuel Gontier. Ce dernier n’a pas ménagé sa peine pour le démontrer : pendant presque une décennie, il a scruté son petit écran pour déconstruire au jour le jour l’ordre du monde qui s’y reflétait.
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Des émissions de téléréalité aux talk-shows, en passant par les éditions spéciales des chaînes d’info en continu, les JT de l’inoxydable Jean-Pierre Pernaut et les émissions politiques, il montre, exemples précis à l’appui, que les valeurs exaltées par le champ audiovisuel coïncident étonnamment avec celles du marché et de la concurrence.
La télévision, seconde peau du système ? Les faits sont si têtus qu’il est difficile de reprocher à Samuel Gontier de grossir le trait. Ainsi note-t-il qu’en 2014, à deux reprises, France 2 a réalisé des reportages dans des entreprises lors d’annonces gouvernementales, où les salariés étaient interrogés… devant leur employeur. “France 2 a pris acte de la disparition des classes sociales et de leurs antagonismes”, moque l’auteur un brin bravache.
Une longue liste de griefs
La liste des griefs que ce téléphage intransigeant établit contre le tout-venant du petit écran confine à l’inventaire à la Prévert : tyrannie des émotions (la part des faits divers dans les JT a augmenté de 73 % en dix ans), amour de la compétition (tant dans les éditos économiques que dans Koh-Lanta), sexisme, consumérisme (à l’exception d’Arte, dépourvue de publicité), ethnocentrisme…
Alors que la rentrée télé de septembre est marquée par l’absence, après vingt-sept ans d’existence, du Zapping de Canal +, cette enquête lui fait involontairement écho en empruntant son mauvais esprit et son exhaustivité pour nous rappeler que la télévision, mass-média par excellence, s’évertue globalement à valoriser l’insignifiance, contre les règles qu’est censé promouvoir le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Un samedi d’été 2012, Samuel Gontier a ainsi compté dix sujets et plus de vingt minutes consacrés par le 20 heures de TF1 à la “poussée du mercure” – “un métal qui, depuis son interdiction dans les thermomètres en 1999, ne survit plus que dans la bouche des journalistes”, s’amuse-t-il. Moins essai que pamphlet à l’humour mordant, ce huis clos cathodique laisse penser que le vide politique à la télévision se fait de plus en plus abyssal, à mesure que les écrans s’élargissent. Mathieu Dejean
Ma vie au poste – Huit ans d’enquête (immobile) sur la télé du quotidien (La Découverte), 264 pages, 17 €
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