Benyamin Nétanyahou sort victorieux des élections législatives israéliennes, qui ont eu lieu le 9 avril. Avec 35 sièges obtenus, il va pouvoir constituer confortablement une coalition pour entamer son 5e mandat. Le directeur de recherche au CNRS Alain Dieckhoff, spécialiste de la société contemporaine israélienne, analyse son caractère indétrônable.
A l’issue des élections législatives du 9 avril, Benyamin Nétanyahou va pouvoir entamer un 5e mandat. Son parti, le Likoud (droite), a obtenu son meilleur score depuis la victoire d’Ariel Sharon en 2003. Comment expliquez-vous son caractère indétrônable ?
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Alain Dieckhoff – On avait prévu que le Likoud et la coalition “Bleu et Blanc” [grand rassemblement anti-Nétanyahou attrape-tout mais penchant à droite, ndlr] seraient dans un mouchoir de poche. Ça s’est confirmé : ces formations engrangent chacune 35 sièges dans la future Knesset. En revanche il n’était pas prévu que Nétanyahou parvienne à faire jeu égal avec la coalition de Benny Gantz, avec le seul Likoud. Cela indique que sa base électorale est extrêmement solide. Pour moi, ce n’est pas nouveau. Cela atteste qu’il a des points de force dans la société israélienne, sociologiquement. Sa quatrième réélection consécutive – ce qui n’est pas arrivé depuis les années 1950 – montre que ce n’est pas le fruit du hasard.
L’expliquez-vous par son seul talent politique, ou par un contexte électoral particulier qui a joué en sa faveur ?
Il a indéniablement un talent politique : c’est un politicien rodé, qui a beaucoup d’expérience – il est Premier ministre de façon consécutive depuis dix ans. Il connait l’art de constituer des coalitions compliquées, de faire cohabiter des gens ensemble… En plus, il a des talents de communicateurs, en particulier quand il s’adresse à ses sympathisants. Mais cela n’aurait pas suffi. S’il est réélu pour la quatrième fois, c’est dû aux transformations à l’intérieur de la société israélienne juive. Il est l’homme qui correspond à ça.
De quelles transformations parlez-vous ?
Malgré le passage des années, les milieux populaires, en particulier d’origine séfarade, lui conservent son soutien. Depuis 1977 ils réservent leur allégeance au Likoud, en votant successivement Menahem Begin, Ariel Sharon et Nétanyahou. Ils ont une fidélité très forte, que rien ne vient entamer. Ensuite, une partie des émigrants d’origine ex-soviétique arrivés dans les années 1990, vote également Likoud, car bien que n’étant pas religieux, ils sont très nationalistes. Le Likoud correspond au type d’idéologie qu’ils défendent. Enfin, certains électeurs sionistes religieux votent pour des partis plus à droite, mais aussi pour le Likoud, qui a toujours eu un vernis plus traditionaliste, bien que non religieux. Cela favorise objectivement la droite et ses alliés. Depuis 2001 il n’y a donc pas eu de Premier ministre de gauche, et ce n’est pas demain la veille.
Ces élections ont été marquées par l’échec total de la gauche, et du Parti travailliste en particulier, qui n’obtient que 6 sièges. Pourquoi la gauche est-elle devenue si inexistante en Israël ?
Le grand enseignement de ce scrutin, c’est la déconfiture totale du Parti travailliste, qui était dans les années 1950-1960 le grand parti israélien. Les six députés qu’il aura trahissent son déclin très profond depuis une vingtaine d’années. Au cours des consultations de 2015, il avait fait un bon score (24 députés). S’il passe à 6 aujourd’hui, c’est cependant aussi parce que certains de ses électeurs ont voté “Bleu et Blanc”, par vote utile contre Nétanyahou. C’était un choix tactique. Mais il est indéniable que le Parti travailliste n’est pas en mesure de représenter une alternative crédible depuis le début des années 2000. On se retrouve avec des formations qui remplissent un espace central : “Bleu et Blanc” se situe au centre, pour capter le maximum de voix et s’opposer à la montée quasi-irrésistible de la droite et de ses alliés.
Gantz incarne-t-il une réelle alternance sur le fond ?
Il l’incarne, mais avec une réelle prudence – et je crois à juste titre, car étant données les transformations sociologiques de la société israélienne, surtout dans le secteur juif en particulier, un parti qui serait très marqué à gauche sur la question palestinienne n’aurait aucune chance. S’ils veulent pouvoir se poser comme force d’opposition, alternative à la droite, il faut qu’ils se positionnent sur un schéma un peu centriste. Ils ont ainsi réussi à fédérer ceux qui auraient voulu avoir quelqu’un d’autre comme Premier ministre. Mais ça ne suffira pas, car il faut pouvoir constituer une coalition, et Nétanyahou a un avantage indéniable en la matière.
Les deux principaux candidats – Nétanyahou et Gantz – semblent avoir une position ferme sur la Palestine. Est-ce une question qui polarise toujours, et qui a marqué la campagne ?
Cette campagne a été marquée par des absences, plus que par des présences. Le débat se résumait à : “pour ou contre la continuation de Nétanyahou ?”. Il n’y a pas eu de débat sur le fond, ni sur la question sociale, ni sur la question palestinienne. Gantz a été extrêmement prudent en la matière. D’ailleurs, ses positions mises en avant sur la question palestinienne étaient en fait proches de celles du Likoud. La plateforme “Bleu et Blanc” dit clairement que le plateau du Golan doit rester sous souveraineté israélienne. C’est exactement ce que Nétanyahou dit. Il a eu l’onction de Trump d’ailleurs dans cette affaire. Gantz est aussi favorable à l’annexion d’une partie des colonies – les “blocs de colonies”. Nétanyahou est allé plus loin, mais c’était pour essayer de fédérer au maximum autour de lui. Il faut voir maintenant ce qu’il va mettre en œuvre.
De manière globale on a l’impression d’une droitisation du paysage politique…
Oui, mais la droitisation ne date pas de 2019, elle est confirmée. La droite est solidement implantée, il n’y a aucun doute, et il n’y a pas d’alternative qui se dégage : ni le Parti travailliste, ni la coalition “Bleu et Blanc”, malgré son relatif succès. Sociologiquement la composition de cette société, avec le renforcement des secteurs sionistes religieux et ultraorthodoxes (qui ont fait un très bon score), explique cela. Chacun des deux partis ultraorthodoxes a obtenu 8 députés, et ils ont dit d’emblée qu’ils soutiendraient Nétanyahou…
Comment qualifieriez-vous politiquement Nétanyahou et le Likoud ?
Le Likoud a changé. Au départ, dans les années 1970, c’était un parti conservateur, de droite. Aujourd’hui ce n’est plus le même. Menahem Begin et Yitzhak Shamir sont décédés depuis longtemps. La génération suivante a des positions beaucoup plus nationalistes. Et c’est vrai qu’au cours de la dernière législature, depuis 2013, il y a eu un tournant en partie populiste, indéniablement. Il y a une volonté de renforcement du pouvoir exécutif.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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