Nuit Debout est un mouvement de citoyens divers qui ont pour point commun de croire en la démocratie directe, mais qui est également hanté par ceux qui n’y croient fondamentalement pas. Une tribune de Nicolas Framont, sociologue, enseignant à l’université Paris-Sorbonne, co-rédacteur en chef de la revue Frustration.
Coté pile, Nuit Debout est constitué de milliers de gens qui croient en la possibilité et en la vertu de la discussion commune et qui élaborent au quotidien les techniques nécessaires à son bon fonctionnement, tout en dessinant les contours d’un monde plus juste. Ils sont celles et ceux qui s’assoient en cercle, dans des Assemblées ou des Commissions, et discutent selon le protocole bien établi qui fait la force de Nuit Debout : tout le monde peut parler, chacun son tour, on ne se coupe pas la parole et on s’applaudit à la fin d’une discussion pour saluer l’apprentissage de compétences démocratiques comme le font des participants à un cours de gym pour se féliciter de leurs performances sportives. La discussion à Nuit Debout c’est donc l’anti-repas de famille, l’anti-débat télévisé où les politiques se coupent la parole et se reprochent mutuellement leur passé car la spécificité démocratique du système Nuit Debout est de gommer le statut des interlocuteurs.
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Des groupes hostiles au fonctionnement égalitariste de Nuit debout
En effet, comme les étiquettes partisanes sont bannies pour ne pas retomber dans les impasses de la politique actuelle, chacun parle en son nom propre. Le système Nuit Debout neutralise les égos, les arguments d’autorité et écarte le triptyque qui occupe d’ordinaire les débats publiques et médiatiques: ceux qui dirigent (les politiciens), ceux qui pensent (les intellectuels) et ceux qui gèrent (les experts). Ce mouvement correspond donc assez fidèlement à une définition que donne Jacques Rancière d’une authentique démocratie : « le gouvernement de ceux qui n’ont pas plus de titre à gouverner qu’à être gouvernés »*.
Mais côté face, le mouvement Nuit Debout rassemble autour de lui, à l’extérieur comme à l’intérieur des places, des individus et des groupes hostiles à son fonctionnement égalitariste.
Nuit Debout fait d’abord l’objet d’attaques récurrentes sur son apparent vide politique et son absence de cap. La pression extérieure que font peser certains intellectuels, politiques, journalistes a fortement influencé le mouvement. Ses initiateurs, pris par ce sentiment d’urgence, ont organisé le 20 avril une réunion à la bourse du travail où intellectuels et experts militants ont eu à nouveau droit à leur privilège ordinaire de temps de parole. De ce fait, cette réunion n’a débouché sur rien de concret et Nuit Debout poursuit sa tant décriée fuite en avant démocratique qui reste cependant perturbée par d’autres obstacles, cette fois-ci internes.
Nuit Debout a attiré l’appétit de petits groupes militants constitués
Victimes de leur ouverture et de leur volonté pluraliste, les Nuit Debout ont attiré l’appétit de petits groupes militants constitués, prédateurs affamés qui se fondent dans la foule et tentent d’y imposer leurs codes. La place de la République compte maintenant son lot de participants qui n’ont pas la moindre intention de se diluer dans le débat démocratique qu’ils jugent stérile, mais jouent le jeu pour mieux en tirer bénéfice. Une minorité de groupes d’extrême-gauche experts en noyautage, conspirationnistes d’ultra-droite, pseudos mouvements citoyens et maniaques de la violence viennent tester in vivo leurs arguments et multiplient les combines pour faire voter leurs programmes. Ce sont ces groupes, fondamentalement hostiles à l’élaboration commune et anti-dogmatique de Nuit Debout qui menacent l’équilibre du mouvement, et non la promenade nocturne d’un vieil académicien réactionnaire.
Nuit Debout est donc aussi le lieu de cette énième confrontation historique entre ceux qui croient que la démocratie vaut le temps et l’énergie qu’on y passe et ceux qui jugent que rien ne vaut la supériorité morale et intellectuelle de quelques autorités.
* Jacques Rancière, La Haine de la démocratie, éd. La Fabrique, 2005
>> Lire aussi notre entretien avec Nicolas Framont sur Nuit debout <<
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