Le site va être réduit à un « vertical » du site de l’Obs. Une nouvelle qui ne surprend guère, mais qui marque un pas de plus vers la fin de Rue89 comme on le connaissait avant.
“Rue 89 devient une rubrique du site de L’Obs”. La nouvelle a été annoncée par le site Presse News lundi 21 décembre. Selon ce dernier, la décision a été dévoilée au conseil de surveillance de L’Obs le 10 décembre dernier.
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En réaction à cette annonce, beaucoup de tristesse, tant parmi les anciens du média que sur Twitter :
.@Rue89, LA référence durant mes années d’études devenant… “un simple onglet traitant de l’actualité connectée”
https://t.co/HKGSd34izl
— Mickaël Haton (@mickaelhaton) 21 Décembre 2015
Un grand respect pour @Rue89 et le travail engagé par @pierrehaski. Ce média mérite mieux qu’un onglet. https://t.co/ugtEdsYL1Q
— ✏ Jérémy Felkowski ✏ (@JFelkowski) 21 Décembre 2015
Si le site PresseNews annonce que Rue 89 “deviendra un simple onglet”, Pascal Riché, cofondateur du site et aujourd’hui directeur adjoint en charge du numérique de L’Obs, corrige :
“Ce ne sera pas un “onglet” mais un vertical, au même titre que le site de O par exemple.”
Chaque “vertical” de L’Obs a sa spécialité : la littérature pour Bibliobs, ou le participatif pour Le Plus. Rue89 est déjà présent parmi ces rubriques depuis quelque temps.
“On est en train de repenser l’ensemble du site de L’Obs qui accueillera plusieurs univers. Rue89 fera partie de cette galaxie, et traitera de la vie numérique”, précise Pascal Riché.
Huit ans après sa création par quatre anciens journalistes de Libération, le site qui fut le premier pure player français se retrouve relégué à une rubrique d’un média généraliste, lui-même satellite du groupe Le Monde, possédé par le trio d’actionnaires Niel-Bergé-Pigasse. En 2007, Rue89 apparaît un peu comme un ovni dans le paysage médiatique français, avec des informations généralistes mais un ton souvent décalé, des articles parfois écrits à la première personne, des sujets négligés ailleurs, et surtout une information à trois voix (journalistes, experts et internautes).
Mais le modèle économique du tout gratuit révèle vite ses faiblesses. La publicité ne suffit pas à financer ce jeune média, qui finit par être racheté en décembre 2011 par Le Nouvel Observateur. Pierre Haski, cofondateur de Rue89, écrit alors un article qui se veut rassurant quant à l’avenir de son site :
“[Cet accord] pérennise l’aventure de notre site en lui garantissant son indépendance éditoriale totale. […]Tout en s’intégrant dans le groupe du Nouvel Obs, Rue89 restera un site autonome, et les fondateurs (Pierre Haski, président, Laurent Mauriac, directeur général, Pascal Riché, rédacteur en chef) continueront à en assurer la direction comme auparavant. L’indépendance éditoriale et l’autonomie de gestion sont garanties dans l’accord.”
Mais deux ans plus tard, Le Nouvel Obs commence à “absorber” visuellement et physiquement le petit média. Les journalistes déménagent dans les locaux de l’hebdomadaire, et un autre changement d’adresse provoque un tollé : l’URL du site se transforme en “rue89.nouvelobs.com”, et le traditionnel logo de Rue89 n’apparaît plus qu’en petit, sous celui du Nouvel Obs, avec la mention “partenaire”, qui deviendra par la suite “avec”.
La rédaction se met alors en grève et dénonce une “cannibalisation” de leur site. Mais les négociations ne permettent de conserver ni le logo unique de Rue89, ni son URL.
Ces changements n’étaient que les prémices d’une transformation plus profonde du site. Début 2014, Le Nouvel Obs, et par conséquent Rue89, sont rachetés par le groupe Le Monde. Quelques mois plus tard, les journalistes du site sont informés d’un changement de ligne éditoriale, pour ne pas faire concurrence aux autres sites du groupe, tel le Huffington Post : Rue89 doit désormais traiter de l’actualité de la révolution numérique.
La dernière annonce révélée par Presse News n’est donc pas vraiment une surprise, mais elle acte la fin d’un processus de transformation initiée il y a maintenant trois ans. “Rue89 était déjà contrôlé par L’Obs, rappelle Pascal Riché, il dépendra maintenant un peu plus de sa rédaction”.
Une identité tuée
Avec ce nouveau statut, Rue89 traitera donc de l’actualité numérique pour L’Obs, tant d’un point de vue sociétal, qu’économique, ou commercial. “C’est une façon d’harmoniser les contenus”, justifie Pascal Riché, qui explique qu’il n’y aura plus la même information traitée à la fois par L’Obs et Rue89. Une annonce qui a de quoi inquiéter les rédacteurs du deuxième site pour plusieurs raisons : d’abord pour leur indépendance éditoriale, qu’ils avaient à peu près réussi à conserver jusqu’à présent, mais aussi parce que beaucoup de rédacteurs ne sont pas spécialisés dans ce domaine, assez pointu. En outre, le choix de leurs sujets sera dorénavant encore plus restreint. Ces inquiétudes avaient déjà émergé il y a un peu plus d’un an, lors du recentrage éditorial, témoignent des anciens de l’équipe :
“Rue89 était un média généraliste différent des autres, avec une vraie marque, et une identité très forte. En se recentrant sur les questions numériques, ils ont tué cette identité.”
Après un flottement de plus d’un an, avec certains sujets qui s’éloignaient encore de la vie numérique, le recentrage devrait se ressentir davantage aujourd’hui.
Une mort lente ?
“C’est la mort de Rue89 sans qu’on en prononce le nom”, regrette un ancien du site :
“On ne veut pas le tuer d’un coup sec. Mais quitte à le faire mourir, peut-être vaudrait-il mieux lui offrir une belle mort plutôt que de l’étouffer ainsi ?”
Cette mort lente s’accompagne d’une réduction des effectifs : les rédacteurs ne seraient plus que 6 contre 10 aujourd’hui, pour 2 éditeurs au lieu de 3, et un ou deux chefs contre quatre. La direction propose toutefois un plan de reclassement dans les différents médias du groupe.
“Dommage” est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des anciens collaborateurs du média, qui vantent les mérites des journalistes de la rédaction, et refusent de blâmer la direction. Mais Pascal Riché, à l’origine de Rue89, veut voir le bon côté des choses :
“Évidemment, j’aurais préféré qu’on trouve un modèle économique qui nous permettrait de rester indépendant. Mais tout ce qui va dans la pérennité de Rue89 est bon à prendre.”
Mais qu’en diront les lecteurs ? Depuis le rachat par le Nouvel Obs, elles ont chuté (1,5 millions de visiteurs uniques par mois contre 2 millions avant), entraînant des recettes moins intéressantes pour les annonceurs… entraînant des restructurations, qui semblent entraîner des baisses d’audiences. A croire que les lecteurs réclament du Rue89… et non l’actualité numérique de L’Obs.
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