La télé a accentué la dramaturgie sportive. Dans son livre, Faire le tour, voir les jeux le critique Patrice Blouin analyse l’évolution de ce phénomène.
Rien ne saurait mieux justifier l’existence de la télévision que le sport. La joie sans mélange du téléspectateur devant une performance physique la sacralise.
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C’est ce plaisir brut d’un admirateur et connaisseur du jeu que l’on ressent dans le livre de Patrice Blouin, Faire le tour, voir les jeux.
Après d’illustres prédécesseurs comme Eric Rohmer, Roland Barthes, Serge Daney ou Charles Tesson, l’auteur se prête à l’exercice de critique des images de sport, moins pour les déchiffrer que pour “les écrire, c’est-à-dire (…) saisir ce qu’il peut y avoir en elles d’irréductible et de singulier”.
Entre “cinéphilie déviante et sémiologie critique”, Blouin renouvelle ici la réflexion sur la manière de filmer le sport.
C’est sous le patronage de deux textes fondateurs – Photogénie du sport par Rohmer sur les JO de Rome en 1960 et Le Tour de France comme épopée par Barthes sur la course de 1955 – que l’auteur commente les images des JO de Pékin de 2008 et du Tour de France 2009.
Pour constater que plus rien ne fonctionne comme avant, ni la grammaire des plans, ni la scénographie d’un stade.
Les Jeux n’obéissent plus à “l’esthétique sèche, austère, hawksienne” définie par Rohmer à Rome ; le Tour de France n’est plus une épopée façon légende écrite mais un pur récit télévisuel.
Patrice Blouin révèle les stratégies narratives et filmiques qui ont poussé le sport à l’acmé de sa dimension spectaculaire, y compris dans les sports dits mineurs.
En tir à l’arc, il note l’usage du split screen (les deux plans simultanés de l’archer et de la cible) censé compenser l’invisibilité du parcours de la flèche.
En haltérophilie, il note le positionnement nouveau de la caméra de façon à offrir une contre-plongée sur le geste du sportif qui “cherche à soulever le plan lui-même”…
Quant au Tour, et ses étapes interminables en plaine, il reconnaît que c’est une “aberration médiatique”, un film expérimental qui “tient plus de l’image-temps que de l’image-mouvement”.
De ces événements distincts observés jusque dans les moindres détails, Blouin tire deux enseignements.
D’abord, l’influence des séries américaines. A un niveau symbolique, on constate que les surnoms des handballeurs français sont passés des films des années 70, les charlots, aux séries US, les experts ; enfin le souci du rythme : la dramaturgie de l’épreuve cycliste fut modifiée pour créer d’entrée un suspense et le résoudre à la toute fin avec l’étape du mont Ventoux.
Deuxième enseignement : l’internet a irrémédiablement affecté le rapport aux images, au point d’envisager la fin à venir du sport à la télévision. “Les Jeux de Pékin, c’était peut-être d’abord cela : la dernière grille des programmes, la cérémonie de clôture d’un médium ancien : la télévision”, prophétise l’auteur.
Avec ce déclin, c’est aussi la position du téléspectateur émerveillé par la puissance de mise en scène d’un média de masse qui change. L’émerveillement pourra-t-il se réinventer sur la scène éclatée d’un médium de niches ?
Faire le tour, voir les jeux de Patrice Blouin (ed. Lanceur), 149 p., 14 €
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