Quatre ans après la mort d’Hugo Chavez, et la victoire de son dauphin – Nicolas Maduro – à la présidentielle, le Venezuela est à feu et à sang. Comment l’engrenage de la violence s’est-il emparé du pays ?
Dans l’hémicycle du Parlement vénézuélien, deux portraits ont été décrochés des murs depuis la victoire de l’opposition (droite) aux élections législatives fin 2015. Celui de Simon Bolivar, figure de l’émancipation des colonies espagnoles en Amérique latine au XIXe siècle, et celui d’Hugo Chavez, président de la République vénézuélienne de 1999 à 2013, qui s’inspirait du premier pour construire son « socialisme du XXIe siècle » sous le label de « révolution bolivarienne ». Ce symbole en dit long sur la volonté de l’opposition de tourner la page du chavisme. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Quatre ans après la mort du leader socialiste, et la victoire de son dauphin – Nicolas Maduro – à la présidentielle, le Venezuela est à feu et à sang.
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« L’enracinement démocratique du chavisme manque à Maduro »
Depuis le mois d’avril, les affrontements de rue entre l’opposition et les forces gouvernementales ont fait 60 morts, 1000 blessés, et 3000 personnes ont été arrêtées. L’ONG Amnesty international a dénoncé une situation des droits humains « dramatique ». Ce 31 mai, un palier de plus a été franchi dans le discrédit international du régime, alors que des centaines d’intellectuels de gauche « non alignés » ont signé un appel à « dépolariser » le conflit et à « stopper les violences ». Ils espèrent « la formation urgente d’un Comité international pour la paix au Venezuela, afin de mettre fin à la montée de la violence institutionnelle et de la violence de rue ». Mais comment le Venezuela a-t-il été entraîné dans cette spirale de violence ?
Pour le directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, Olivier Compagnon, signataire de l’appel, elle tient à la perte de légitimité démocratique de Nicolas Maduro, qui par sa gestion du régime, se démarque de l’ère Chavez :
« Qu’on le veuille ou non, le chavisme avait une légitimité démocratique dans les années 2000. Chavez a gagné toutes les élections qu’il a organisées, sauf le référendum de 2008. On pouvait critiquer autant qu’on voulait sa forme d’exercice du pouvoir, il n’en demeurait pas moins qu’il avait une légitimité démocratique. Aujourd’hui, cet enracinement démocratique manque à Maduro : la perte des législatives en 2015, et la confiscation consécutive des prérogatives législatives par le pouvoir exécutif ont constitué une étape importante du durcissement autoritaire du régime. »
En effet, la restriction des pouvoirs du parlement suite à la victoire de l’opposition, qualifiée de « coup d’Etat » par Henrique Capriles, le leader de la droite, a mis le feu aux poudres. Même des fidèles d’Hugo Chavez ont alors pris leurs distances avec Nicolas Maduro, à l’instar de la procureure générale Luisa Ortega.
« Maduro fait en sorte de bafouer la constitution »
Ce n’est pas le seul exemple qui illustre la dérive autoritaire de Maduro. Lors de son arrivée au pouvoir en 1999, Chavez a convoqué une Assemblée constituante, et a inscrit dans la Constitution le référendum révocatoire. En 2004, l’opposition a réuni le nombre de signatures suffisant pour en organiser un, ce qu’elle a fait, en vain puisque Chavez l’a remporté. L’année dernière, une nouvelle fois, l’opposition a obtenu le nombre de signatures nécessaire pour faire usage de cette disposition, mais « Maduro a fait en sorte de bafouer la constitution, et de ne pas organiser le référendum, car il savait pertinemment qu’il allait le perdre. Ces écarts montrent que Maduro n’est pas seulement la continuation de Chavez, que quelque chose a changé. »
La polarisation politique au Venezuela n’est pas née avec l’élection de Maduro. Déjà sous Chavez, elle était extrême, et a même conduit à un coup d’Etat avorté contre lui en 2002. Mais elle dégénère aujourd’hui en « guerre civile de basse intensité », selon les mots de Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Amérique latine. Cela s’explique notamment par un changement de contexte économique. Le Venezuela a été obligé de réduire de 70% ses importations en trois ans, provoquant des pénuries de nourriture et de médicaments, et l’effondrement des prix du pétrole entre 2012 et 2014 a sapé la capacité du régime à redistribuer une partie de la rente pétrolière à ses clientèles politiques traditionnelles. La légitimité de Maduro s’est donc érodée, y compris dans le camp chaviste.
« A partir du moment où la gestion de la crise économique tourne à l’aggravation des difficultés quotidiennes dans le pays, la base chaviste prend ses distances avec Maduro, et la droite gagne aux législatives. On entre alors dans une guerre institutionnelle, car l’assemblée déclare qu’elle ne reconnaît pas le gouvernement, et se fixe pour objectif un changement de régime dans les six mois », analyse Christophe Ventura.
Depuis, l’opposition comme le gouvernement se drapent dans des positions jusqu’au-boutistes qui se soldent par des morts dans la rue. Pour sortir de cette spirale, Nicolas Maduro entend convoquer une assemblée constituante pour refonder la constitution. Mais l’opposition refuse de participer à l’élection des députés constituants. « C’est un stratagème politique et une manière de repousser les échéances. On ne peut pas croire que ce projet soit une possibilité de sortie de crise », commente Olivier Compagnon. « Maduro a pris cette initiative pour obliger l’opposition à revenir sur un terrain politique, et pour remobiliser et refonder le mouvement chaviste, dans lequel il a perdu des appuis. Il veut faire la démonstration qu’il ira au bout de son mandat. Ce n’est donc pas propice à l’apaisement de la situation », convient Christophe Ventura.
Quels scénarios de sortie de crise ?
Parmi les scénarios de sortie de crise envisagés, celui d’une intervention des chavistes modérés pour arriver à une négociation avec l’opposition semble peu crédible. Celui d’une médiation internationale pourrait être envisagée, à l’instar de Cuba avec les FARC en Colombie, mais elle provoquerait à coup sûr un procès en ingérence politique extérieure de la part de Maduro. Reste le rôle que pourrait jouer l’armée dans le rapport de force avec le régime, selon Olivier Compagnon, sans parler de coup d’Etat : « Est-ce que des haut gradés vont faire en sorte de créer un dialogue politique ou une situation de rupture politique ? C’est un critère important. » D’ici à la prochaine élection présidentielle, prévue fin 2018, le bras de fer risque donc de continuer.
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