L’histoire de la mafia américaine des cinquante dernières années, dans un thriller suffocant de l’Anglais R.J. Ellory, nouvel auteur incontournable du polar. (photo : Al Pacino dans Scarface de Brian de Palma)
La coïncidence, si c’en est une, est troublante : Ellory constitue l’exact anagramme d’Ellroy. Et les deux écrivains n’ont pas en commun que les lettres de leur nom. Roger Jon (Ellory), l’Anglais de 44 ans très remarqué l’an dernier pour son polar Seul le silence, partage avec James (Ellroy), l’Américain, une biographie jalonnée de drames, un passage par la case délinquance et, surtout, un lot d’obsessions. Pour faire vite, le mal, la rédemption et la face cachée de l’histoire américaine. Vendetta, le second roman traduit en France d’Ellory – sur sept –, n’a pas peu à voir, sous cet angle, avec la trilogie Underworld USA d’Ellroy. Comme dans American Tabloid, le premier tome d’Ellroy, Vendetta voit son intrigue réellement démarrer à la fin des années 1950, pour nous emmener à Cuba et dans les arrière-cuisines de la Mafia US.
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Car ce roman est un long flash-back. Il s’ouvre à La Nouvelle-Orléans, au début du XXIe siècle : la fille du gouverneur de Louisiane a été enlevée, le cadavre de son garde du corps retrouvé massacré dans le coffre d’une voiture. L’assassin/kidnappeur contacte le FBI : il dira où se trouve Catherine s’il peut rencontrer le flic de son choix et lui livrer une confession complète. Pas seulement sur l’enlèvement de la fille Ducane, mais sur ce qui l’a poussé à cet acte. Pour ça, il lui faudra revenir sur toute sa carrière d’homme de main de la Mafia, depuis ses débuts comme petit assassin à La Havane. Dans la semaine et les cinq cents pages de ce quasi-monologue époustouflant, on traverse, du point de vue de cet Ernesto Perez, les derniers jours du Cuba de Batista, la mort de Kennedy, celle de Jimmy Hoffa, parrain tué dans des conditions non élucidées. On vit les conflits entre mafias “nationales” et ethniques, Italiens contre Irlandais, Blancs contre Noirs. On entre de plain-pied dans le fonctionnement de la Cosa nostra, son côté tribal et raciste (le Cubain Ernesto Perez ne sera jamais entièrement accepté par les Italiens), ses liens avec le monde politique. On touche du doigt l’étrangeté d’une vie passée à assassiner sans passion, avant de rentrer dîner tranquillement avec femme et enfants.
Formidablement conçu, Vendetta mêle avec beaucoup de pertinence fiction et faits réels, en choisissant de s’engouffrer dans les angles morts de l’histoire américaine, en proposant des explications aux mystères pas plus folles que les habituelles théories du complot. Surtout, Ellory élabore avec Perez un personnage fait de tous les hommes de main et qui les vaut tous, énigmatique, cruel et attachant. A son récit long, tortueux, qui ne s’essouffle jamais, sa voix ajoute un supplément d’âme, qui transforme cette histoire récente de la Mafia en un roman fascinant sur la loyauté, l’amour et l’obsession de la revanche.
Vendetta (Sonatine), traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau, 550 pages, 23 €
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