Conçu par un tout jeune studio allemand et édité par Arte qui poursuit son quasi sans-faute en matière de jeux vidéo, « Vectronom » est une merveille de jeu de rythme, subtil et entêtant, souvent (très) ardu mais jamais décourageant. Pour venir à bout de ses niveaux mutants, une seule option : se laisser guider par la musique électro et faire danser nos doigts dans le bon tempo.
Celui-là, c’est peu dire qu’on ne l’avait pas vu venir. Dans la longue et fructueuse discussion entre le jeu vidéo et la musique – et plus précisément le rythme –, on avait pris l’habitude de guetter les interventions de Tetzuya Mizuguchi (Rez, Tetris Effect...), de Jeff Minter (Space Giraffe, Polybius…) ou encore du studio américain Harmonix ou de la série Rhythm Tengoku, mais c’est le tout premier jeu d’un studio indépendant du nom de Ludopium basé à Cologne qui bouleverse aujourd’hui nos certitudes, nous étonne, nous emporte, nous rend fou et joyeux à la fois. Un jeu produit par Arte qui, après Californium, Vandals, Homo Machina ou encore Enterre-moi, mon amour, poursuit son quasi sans-faute en matière de jeux vidéo. Celui-ci s’appelle Vectronom et ne se distingue pas follement sur le plan graphique avec ses formes anguleuses en vue isométrique. Mais quand les choses se mettent en mouvement, c’est une autre histoire.
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Le principe de base de Vectronom est celui de bien des jeux de plateforme. Notre tache y est d’emmener un personnage, qui se trouve être ici un petit cube de couleur, d’un point A à un point B en évitant, dans la mesure du possible, de le faire tomber dans le vide. Le fait que les plates-formes ne soient pas fixes n’est même pas si original que ça – dans Mario aussi, le sol peut se dérober –, mais ce qui change tout, c’est que la plupart d’entre elles ne tiennent jamais en place. D’une seconde à l’autre (et souvent même plus rapidement que ça), voilà le niveau radicalement transformé. La voie qu’on aurait pu suivre a disparu pour resurgir immédiatement ailleurs, une figure géométrique se change en une autre et voilà même qu’apparaissent des piques au rythme de la musique électronique. Car ces mutations des niveaux ne se font pas n’importe comme : elles suivent le tempo, comme si l’espace lui-même se mettait à danser. Pour se sortir de ces pièges dont la découverte est parfois terrifiante, pas d’alternative : il faudra apprendre ses mouvements, adopter son tempo. Et danser avec lui.
La grande idée des développeurs de Ludopium, c’est d’aborder l’idée de chorégraphie sous l’angle du puzzle game. Chaque niveau est une énigme (en plus d’un spectacle étonnant), une phrase à déchiffrer, un code à cracker. Parfois, c’est simple – deux pas en avant, deux pas sur le côté, deux pas en avant, et ainsi de suite, toujours dans le bon tempo – et, une fois l’enchaînement assimilé, on s’étonne presque de voir notre cube traverser en toute décontraction cet espace mutant qui nous faisait d’abord si peur. Mais voilà qu’on perd de vue notre cube qui passe derrière un mur. Horreur ? Même pas : avec le rythme dans la peau, on pourrait presque jouer les yeux fermés. Parfois, l’affaire se révèle plus complexe et il faut pas mal de tentatives pour atteindre l’arrivée. Une bonne centaine, même, à l’occasion, le temps d’apprendre vraiment comment “fonctionne” le niveau et, alors qu’il semble nous agresser, de trouver par quels interstices se glisser. C’est, disons, le côté Dark Souls du jeu, ou peut-être plutôt son côté Cuphead car, même avec son style abstrait, Vectronom est souvent drôle et toujours lumineux.
Le plaisir que suscite l’œuvre stupéfiante du studio Ludopium est très exactement celui de la danse. Il est donc au moins triple. D’abord, il y a donc l’apprentissage et finalement l’exécution parfaitement maîtrisée d’une suite de mouvements – c’est, si l’on voit avant tout le jeu comme un défi, comme une compétition la dimension la plus évidente. Ensuite vient la capacité d’improvisation, d’adaptation : au cours d’un parcours, il est parfois nécessaire de changer de “routine” pour passer et il est très (très) gratifiant d’y arriver. Mais ce n’est pas tout : comme dans tous les vrais bons jeux d’actions – comme dans Super Mario 64 ou Katamari Damacy, disons – une bonne partie de la satisfaction que provoque Vectronom naît de la simple interaction. Du fait de bouger notre cube en rythme, sans nécessairement chercher plus loin. C’est la fête, la musique est bonne et on est bien. Pour tout le reste, on verra demain matin.
Aussi sérieux et attentif aux détails qu’inspiré, Ludopium a bâti sur ces bases un jeu presque sans faille. Par exemple, si on a envie de l’essayer à deux, c’est tout naturellement qu’un autre joueur pourra se joindre à nous. Et puis, si on échoue (ce qui, à moins d’être un robot, ne sera pas rare), le jeu nous permet de recommencer tout de suite, sans temps mort. Mais surtout, s’il est loin d’être évident, il trouve le juste équilibre entre gratification et punition. Lorsqu’on termine un niveau, en plus du nombre de tentatives nécessaire pour y parvenir, Vectronom nous présente ainsi le nombre de gemmes collectées (ce qui n’est pas obligatoire et implique de faire des détours, élevant du même coup le niveau de difficulté) et le pourcentage de nos déplacements effectués dans le rythme. 72 % ? Pas mal du tout. 35 % ? Hum… On essaiera de faire mieux la prochaine fois.
C’est ainsi que, sans choisir entre le jeu-trip et l’apprentissage rigoureux, en offrant une place égale à la discipline et à la divagation, Vectronom sidère autant qu’il réjouit. Et, tendons l’oreille, nous parle, aussi, incidemment, dans son langage mutant fait de beats, d’apparitions et d’évanouissements. Une chose est sûre : on n’a pas fini de danser sur son monde clignotant.
Vectronom (Ludopium / Arte), sur Switch, Mac et PC, environ 10€. A paraître sur iOS et Android.
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