“Je ne céderai rien, ni aux fainéants ni aux cyniques ni aux extrêmes“. Lâché lors d’une visite à Athènes le vendredi 8 septembre dernier, le triptyque d’Emmanuel Macron a fait mouche. Plus que jamais, le chef de l’Etat a réaffirmé sa détermination à mener à bien les projets de son gouvernement, alors que les appels […]
De Charles de Gaulle à Emmanuel Macron, tous les présidents de la Ve République ont un jour dérapé en livrant, sciemment ou non, une formule nappée de mépris envers les Français. Mais depuis l’avènement du 2.0, la tendance semble s’être accélérée : à trop chercher la « formule choc » que retiendront (et reprendront) journalistes et internautes, nos chefs d’Etat s’embourbent dans leur maladresse…
« Je ne céderai rien, ni aux fainéants ni aux cyniques ni aux extrêmes« . Lâché lors d’une visite à Athènes le vendredi 8 septembre dernier, le triptyque d’Emmanuel Macron a fait mouche. Plus que jamais, le chef de l’Etat a réaffirmé sa détermination à mener à bien les projets de son gouvernement, alors que les appels à manifester contre la réforme de la loi Travail se multiplient. Mais plus que l’orientation du projet, ce sont les termes employés qui ont massivement fait jaser. Rapidement, la twittosphère, partis de gauche et syndicats en chefs-de-file, ont ainsi manifesté leur mécontentement voire et stupeur.
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Abrutis, cyniques, fainéants, tous dans la rue les 12 et 23 septembre ! pic.twitter.com/cGYwUnaafH
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 8 septembre 2017
« Fainéants, cyniques, extrêmes » le président insulte ceux qui s’opposent à sa politique. Décidément @EmmanuelMacron n’aime pas les Français
— Pierre Laurent (@plaurent_pcf) 8 septembre 2017
Le mépris de classe de Macron commence à être à la mesure de sa chute abrupte de popularité… #faineants
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) 8 septembre 2017
. @EmmanuelMacron a la mauvaise manière de critiquer les français à l’étranger. On n’est pas ses sujets https://t.co/U3vAF62NUC via @BFMTV
— Eric Coquerel (@ericcoquerel) 8 septembre 2017
Face à tant de réactions hostiles, l’Elysée n’a eu d’autre choix que d’éclaircir les propos du président, affirmant que les « fainéants » n’étaient pas les Français mais « ceux qui étaient au pouvoir ces quinze dernières années et qui n’ont rien fait« . Trop tard : le mal est fait, le tollé provoqué et la « maladresse » d’Emmanuel Macron (qu’il ne considère d’ailleurs pas comme telle) rejoint ainsi la longue liste des dérapages de nos présidents, semblant tous avoir, un jour ou l’autre, méprisé publiquement leurs citoyens, sciemment ou non.
Dérapages en série
« Les Français sont des veaux ! » En partageant cette comparaison avec le journaliste Raymond Tournoux (qu’il rapportera dans son livre La Tragédie du Général, en 1967), Charles de Gaulle lance sans le savoir une des premières formules choc d’une longue série alimentée, au gré des mandats, par les différents chefs de l’Etat. Le général a ses raisons et stigmatise volontairement ce qu’il juge comme la mollesse collective et les grognements stériles des râleurs de l’époque, les assimilant à des « coups de corne » donnés à ceux qui voulaient juste faire avancer les choses, d’où une partie de l’analogie bovine.
Suivront d’autres présidents et toujours plus de frasques, données sur la place publique ou dans l’intimité, mais qui toutes semblent représenter une fracture nette entre ceux qui les prononcent et les électeurs. Comme De Gaulle avant eux, c’est une incompréhension et/ou une déception causée par le peuple français qu’ils expriment, de manière certes fort peu adroite et diplomate. Pêle-mêle, on retiendra Nicolas Sarkozy et son « Casse-toi, pauv’ con ! », prononcé lors de sa visite officielle au Salon de l’agriculture en 2008 à un visiteur refusant de lui serrer la main. Ou les « sans-dents » de François Hollande, surnom qu’il attribuerait dans la sphère intime aux plus démunis selon les confidences de son ex-compagne Valérie Trierweiler. A se demander comment des hommes politiques (et des chefs d’Etat de surcroît), censés être les garde-fous de leur propre image, peuvent ainsi perdre le contrôle.
Pour Pascal Cauchy, professeur agrégé d’histoire et maître de conférences à Sciences Po, ceci s’explique en partie par le « nouveau profil type » des présidents à la sensibilité littéraire réduite :
« De Gaulle est un homme de lettres, on lui reconnaît la parfaite maîtrise du verbe et du discours, et il possède -presque- une légitimité confirmée par le scrutin. Sa parole, plus qu’invective, est davantage perçue pour sa dimension ‘historique’. Pompidou, agrégé de lettres et affable, ne pouvait être pris en défaut. Mais à partir de Chirac, la fonction fut exercée par des hommes de moindre tenue intellectuelle.Dès lors, le peuple n’accepte plus d’être injurié a la même aune que lui.Les épouvantables ‘sans dents’ de Hollande, sont insupportables car ces mots sont ceux de ‘gens du commun’.«
Largués par l’ère 2.0
Certains rétorqueront alors qu’Emmanuel Macron, pourtant féru de littérature, n’a pas échappé aux dérapages verbaux. Selon notre expert, la raison est simple : à l’instar de ses prédécesseurs (et, possiblement, de ses successeurs), le fondateur du parti En marche ! cherche trop à adapter son langage à celui de la révolution numérique, adoubé par les journalistes en quête de la punchline sensationnelle.
« Le vrai problème est la soumission des politiques au langage commun, vulgaire, celui des tweets. C’est la définition même de la démagogie. En réalité, les politiques veulent réduire leur mission, ou leur vocation, a du marketing. L’analyse disparaît au seul profit du commentaire de ‘blogs’. Ou de tweet. La prolétarisation du métier de journalisme à sa part de responsabilité. La fragilité sociale de la profession impose le rite de la ‘petite phrase’ aux politiques qui courbent l’échine. »
Le mépris, une stratégie comme une autre ?
Si les présidents français (épaulés par leur entourage, spin-doctors en tête) restent avant tout d’excellents communicants, tous, jusqu’alors, ont peiné à se réapproprier les technologies 2.0. Résultat, les élus ne badinent pas avec les mots malheureux, pourtant souvent parfaitement au fait des conséquences qui vont de pair. S’agirait-il dès lors d’une stratégie de leur part ? Mépriseraient-ils parfois volontairement et ouvertement les Français, dans le seul but de faire parler d’eux, d’asseoir leur dédain et présumée supériorité, comme certains aiment à le croire ? Ou tenteraient-ils de s’émanciper du joug de l’opinion publique, où la popularité, mesurée par les sondages, semble primer sur le reste ?
Tous les experts interrogés sont unanimes : populaire ou non, absolument aucun président n’a ne serait-ce qu’une seule bonne raison de raisonner ainsi. « Emmanuel Macron n’a pour le moment aucun adversaire, si ce n’est lui-même. Il n’a absolument aucune raison d’avoir tenu pareilles paroles en Grèce. D’autant plus que son discours était lu : il savait donc ce qu’il faisait. Il avait un boulevard devant lui, il pourrait même rester dix ans à l’Elysée. C’est incompréhensible » déclare Frédéric Dosquet co-auteur de Marketing et communication politique : Théorie et pratique.
Position cristallisée
Reste à évaluer l’impact de ces dérapages sur les Français. Ces derniers sont-ils vraiment surpris d’entendre les élus manifester publiquement (et encore une fois, consciemment ou non) une certaine forme de mépris à leur égard ? Peu probable. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les « phrases chocs » des hommes politiques sont, particulièrement depuis l’élection de Jacques Chirac, monnaie courante. L’avènement de la révolution numérique, gravant chacune d’entre elles dans le marbre, a eu l’effet pervers de les « banaliser », habituant dès lors les Français aux incartades de nos élus.
Si on n’oublie désormais aucune d’entre elles, force est de constater que leur effet est moindre, tant dans la force que sur la durée. D’autant plus qu’ « une seule phrase n’a pas d’influence si les citoyens ont le sentiment que les mots ont dépassé la pensée, analyse Eric Verhaegue, auteur de l’ouvrage Faut-il quitter la France ?. Seule une accumulation de phrases qui vont toutes dans le même sens, sans explication, peut créer le rejet. Tout le monde peut avoir un mot malheureux. »
Mais tous les Français ne resteront pas indifférents, et d’aucuns verront leur grogne contre les hommes politiques renforcée, leur position cristallisée, comme l’explique le spécialiste : « avec ce type de bourde, certains Français ne sont plus surpris mais à l’inverse, voient leurs opinions confirmées ! Beaucoup sont convaincus que la classe politique vit sur leur dos en les méprisant. ‘Vous payez des impôts et en plus, on vous méprise’ doivent-ils se dire… Mais en entendant le genre de petite phrase comme celle lâchée dernièrement par Emmanuel Macron, comment pourraient-ils penser autrement ? »
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