Un format cinématographique essentiel et idéal – car libre – où la cinéaste a toujours su et pu déployer sa fantaisie, sa créativité, sa fascination prégothique pour la décomposition des chairs : la Varda en elle-même.
Agnès Varda a longtemps tourné des courts métrages (de 1957 à 2004), même quand elle avait acquis une vraie notoriété pour ses longs métrages. Le format court – docu, “essais” ou fictions – lui était aussi évident que le long.
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Le court métrage était peut-être pour elle synonyme de liberté, de rapidité de geste artistique, de fantaisie (à la Cocteau, à la Tati parfois, voire à la Godard), d’improvisation, avec souvent (pas toujours) cette voix, la sienne, off, qui apportait une touche de charme et de subjectivité à tout (la voix de Varda, ce n’est pas rien).
Il faut ajouter que son talent, comme celui de tout cinéaste (Rohmer le disait aussi à ses étudiants de Paris I), résidait dans le fait qu’elle était toujours là où il le fallait, au bon moment, dans cette capacité à saisir son époque avec une caméra : à comprendre le présent des choses, des gens, une couleur, une texture, un mouvement politique, une vague, une exposition (Ydessa, les ours et etc.) qui reflétaient l’époque présente.
https://www.youtube.com/watch?v=rLWDulgrP08
Quand on le lui disait de vive voix, elle se renfrognait, comme si on venait de lui dire qu’elle était une opportuniste (elle n’était pas commode, Agnès), ou juste une femme (ce sixième sens dont on les affuble pour taire leur intelligence) alors qu’on lui exprimait simplement l’admiration qu’on éprouvait pour son talent d’artiste, sa capacité à saisir l’air du temps.
Agnès Varda avait attendu les dernières années de sa vie (Quelques veuves de Noirmoutier, Les Plages d’Agnès), pour se lâcher, se laisser aller à l’autobiographie – même si elle restait pudique sur sa vie privée avec Demy, qu’elle a toujours tenu à enjoliver, ce qu’on a pu légitimement lui reprocher.
Pourtant, à travers tous ses courts, des éléments de sa vie, de celle de sa famille transparaissaient, traçant le portrait morcelé d’une femme qui avait été une enfant fugueuse, dont le père était sévère et voulait oublier qu’il avait été grec, dont la mère était issue d’une famille de quatorze enfants.
https://www.youtube.com/watch?v=BW5attplYjA
Une femme qui assumait d’avoir une vie sexuelle, qui aimait bien aussi photographier et filmer des hommes et des femmes nu.e.s, qui a tourné des films “touristiques” (O saisons, ô châteaux , Du côté de la côte), mais toujours avec facétie et minutie. Une femme qui était allée voir le Cuba de la révolution (Salut les Cubains, film de montage photographique) à l’instigation de son ami Chris Marker, qui avait vécu aux Etats-Unis, qui y avait filmé les militants révolutionnaires pour les droits civiques (Black Panthers) et son oncle grec devenu peintre hippie (Oncle Yanco).
Une femme qui aimait Paris (Les Dites Cariatides, superbe), le magnifique, le trivial et le charbonneux (L’Opéra-Mouffe, qui nous rappelle que dans les années 1950, la rue Mouffetard de la Sœur Rosalie était encore un coin de clochards et de chiffonniers), une militante féministe (Réponses de femmes), qui se laissait volontiers entraîner par son imagination (le surréaliste 7 p., cuis., s. de b.,… à saisir, avec Yolande Moreau qu’elle avait découverte).
Bref, Varda, une personnalité de caractère, ludique depuis toujours, qui regardait son époque et les gens avec un regard d’enfant (la curiosité, la sidération) et l’intuition de ce qui se jouait hic et nunc et pouvait intéresser le public. Sur la jaquette du DVD de tous ses courts métrages, on peut encore lire (même s’il est épuisé) : “Au 83, rue Daguerre, une ancienne quincaillerie (celle de Daguerréotypes, 1975) est devenue la salle de montage et la boutique de Ciné-Tamaris” (sa maison de production).
Varda était une cinéaste de proximité, du coin de la rue, pudique et curieuse à la fois, et on l’imagine volontiers petite fille, insistant pour entraîner les gens de son quartier dans sa ronde. Du “Patron”, Jean Renoir, elle avait retenu que le plus proche est le plus universel. Mais elle en avait tiré un cinéma qui n’appartenait qu’à elle.
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