Fermetures de titres, changements de rédaction en chef, perte de vitesse du print et scandales de collaborateurs : 2017 a été une année difficile pour le groupe de presse Condé Nast, propriétaire des magazines « Vogue », « Glamour », « GQ » et « Vanity Fair ». Le magazine Télé L’Obs publie un long article interrogeant la pertinence du groupe de presse papier-glacé à l’ère du digital.
La sentence tombe début novembre : le magazine pour ados Teen Vogue, qui s’est fait le porte-parole d’une jeunesse éclairée et en fervente opposition au gouvernement Trump via les articles politiques de la journaliste Lauren Duca, n’existera bientôt plus en version papier. Le groupe Condé Nast annonce la fermeture du titre phare de la presse adolescente, lancé en 2003, en même temps que la suppression de 80 emplois au sein du groupe, alors que le magazine avait récemment nommé la journaliste Elaine Welteroth à sa rédaction en chef. La raison de cet arrêt de publication : une baisse considérable du lectorat en faveur de la version Internet de la publication.
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La presse pour ados n’est pas la seule touchée. Dans un communiqué publié sur WWD, Condé Nast annonce une diminution du nombre de parutions des titres GQ, Glamour, AD et Allure, qui passent à onze numéros par an. En France, les magazines mensuels GQ, Vanity Fair et Vogue ne publieront que dix numéros en 2018, tandis que le magazine féminin Glamour passe à six numéros par an. Ces annonces drastiques – largement dues aux coûts d’impression ultra élevés des magazines papier glacé – arrivent au terme d’une année compliquée pour le groupe de presse international, qui fait l’objet d’un long papier dans le magazine Télé Obs, « Condé Nast : le luxe à l’ère du low cost », paru cette semaine.
« La fin d’une époque »
Un groupe de presse aussi bling que Condé Nast, dont l’aura repose avant tout sur ses titres prestigieux aux pages luxueusement glacées, pourra t-il survivre à l’ère du digital ? C’est la question que se pose le journaliste Arnaud Sagnard, qui se plonge dans « l’annus horribilis » que vient de vivre Condé Nast : décès de son président S.I. Newhouse Jr début octobre 2017, fermeture de Teen Vogue, réémergence du scandale Terry Richardson, flop de la nouvelle version de Style.com (la bible de la mode online, qui recensait tous les défilés, a été brièvement transformée en plate-forme e-commerce dans le but de rentabiliser ses millions de vues – ce fut un échec), départ du rédacteur en chef de Vanity Fair Graydon Carter, qui en vingt-cinq ans à la tête du magazine l’a transformé en « lieu où le tout-Hollywood se met en scène » (mais dont le salaire annuel grimpait à 3 millions de dollars).
L’empire médiatique perd un peu du lustre qui fait sa renommée. Un salarié du groupe Condé Nast – tous les témoignages sont anonymes – se confie dans les pages de Télé Obs : « C’est la fin d’une époque. Ces dernières années, Condé Nast a été le seul groupe à investir massivement dans la presse en lançant Glamour, GQ et Vanity Fair. Contrairement à la concurrence, ils laissaient aux équipes le temps de développer les publications. (…) Bien sûr, la rentabilité était exigée, mais pas avant six, sept ans. Et à chaque fois ça a marché. Les autres groupes auraient laissé tombé avant. Maintenant, nous aussi on coupe. On passe du luxe au low cost… »
Réduction des coûts et rajeunissement du porte-feuille
Plus qu’une réalité économique, c’est tout un train de vie qui doit être repensé au sein des locaux de Condé Nast, au One World Trade Center à New York et au Parc Monceau à Paris. Finis les notes de frais exorbitantes, les chauffeurs à tout va, les déplacements en business class pour ses journalistes et rédacteurs stars. « Vous connaissez beaucoup de magazines qui font fabriquer des typographies ? Qui font venir les stars et les photographes de Los Angeles ? Ou qui refont dix fois une maquette ? » demande une ancienne salariée du groupe, dont les propos sont rapportés dans l’article de Télé Obs. Des luxes qui ne sont plus justifiés à l’ère du digital : « Aujourd’hui, tout le monde fait de belles images. »
Pour combattre sa baisse de popularité, Condé Nast s’attaque à la tranche de population qui obsède les divisions marketing : les millenials. Après avoir racheté le site de musique pointu Pitchfork il y a deux ans, Condé Nast annonce son acquisition de Lenny Letter, la newsletter féministe aux 500 000 lecteurs fondée par l’actrice Lena Dunham. Début octobre, le site Business of Fashion annonçait le lancement de Them, nouveau média en ligne à destination de la communauté LGBTQ. Deux démarches digitales qui révèlent la volonté de Condé Nast de se distancer des stars sur papier glacé pour se tourner vers des sujets en accord avec l’époque, et au coeur des préoccupations de la nouvelle génération de lecteurs. La nomination d’Edward Enninful, styliste noir et ouvertement homosexuel, à la tête du Vogue britannique rejoint cette démarche digitale : le nouveau rédacteur en chef compte 655 000 followers Instagram.
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