Nouvelle création éditée par Arte du jeune auteur de « Type:Rider », « Vandals » invite le joueur à laisser sa trace (en dessinant ses propres graffitis) sur les murs de Paris, Berlin, New York ou Sao Paulo. Entre puzzle game et stratégie au tour par tour, le jeu met en lumière la dimension à la fois cérébrale et créative du street art.
« On peut dresser un parallèle avec le monde de l’audiovisuel, où il existe une production indépendante que le service public soutient. C’est tout à fait comparable pour le jeu vidéo. » Le monsieur tenant ses gentils propos auxquels on ne peut que souscrire (en ajoutant néanmoins que les indés sont parfois très poseurs et creux et qu’il existe aussi des génies mainstream) s’appelle Gilles Freissinier et il occupe le poste de Directeur du développement numérique chez Arte qui, en quelques années, est presque devenu un éditeur de jeux vidéo à part entière. Avec pour ambition affichée de « rendre accessible une production présentant un regard d’auteur à un public qui soit ne joue pas, soit ne serait pas venu à ces jeux sans cela », ajoutait Freissinier en cette matinée de la fin mars que la chaîne avait choisi pour présenter à la presse sa collection vidéoludique du printemps riche de deux titres : l’intriguant Homo Machina, inspiré de l’œuvre du médecin berlinois et pionnier de l’infographie Fritz Kahn (1888-1968) et attendu au mois de mai, et puis Vandals, qui vient tout juste de sortir.
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Mission : imprimer sa trace sur les murs
Le principal auteur de Vandals est une vieille connaissance. Cosmografik (aka Théo Le Du Fuentes, pour l’état civil) était déjà derrière le très chouette Type:Rider qui, à l’automne 2013, avait marqué l’entrée officielle d’Arte dans la production de jeux vidéo, ouvrant la voix à des choses aussi marquantes que Californium (2016) ou Enterre-moi mon amour (2017). Après l’histoire de la typographie qui était au cœur de ce coup d’essai, place à celle du graffiti, sur laquelle s’appuie la nouvelle création du jeune homme. Vandals envoie le joueur dans cinq villes du monde à autant d’époques différentes avec pour mission d’imprimer sa trace sur les murs : Paris en 1968, New York au milieu des années 1970, Berlin en 1984… Des villes dont la représentation extrêmement stylisée n’est que l’une des surprises de Vandals. Car le jeu s’émancipe aussi de l’esthétique hip hop généralement (et légitimement) associée au graffiti pour s’inscrire plus largement dans l’histoire du street art « qui vient de plusieurs endroits en même temps et est multiculturel », insiste Cosmografik, en se revendiquant notamment du plasticien Ernest Pignon-Ernest.
De cette orientation découlent les partis pris sonores (« on voulait un truc qui fasse urbain, nocturne », souligne le game designer à propos de sa collaboration avec le musicien Nicolas Slimani) et plastiques, « le travail de la ligne, des contrastes, le jeu des couleurs complémentaires… » « C’est quelque chose qui m’intéressait, dit Théo Le Du Fuentes. Essayer de synthétiser des villes juste par leur graphisme et par les objets qui les composent, comme les escaliers extérieurs pour New York. De capturer l’essence d’une ville. » Mais Vandals est d’abord un jeu : pas « seulement » une encyclopédie du street art (même si une quarantaine de fiches sur le sujet, en relation avec des œuvres que l’on découvre dans certains niveaux, sont incluses) mais une expérience ludique à part entière qui a notamment pour qualité de ne pas aborder le graffiti comme on pouvait s’y attendre. Car Vandals n’est pas du tout un jeu d’action à l’image du pionnier Jet Set Radio. Ici, le défi et la satisfaction se révèlent essentiellement cérébraux : plutôt qu’une jungle, la ville est un échiquier sur lequel on évolue précautionneusement, attentif aux mouvements des policiers bien décidés à nous stopper et aux obstacles et dangers de plus en plus en variés, caméras de surveillance, lasers ou chiens hargneux, au fur et à mesure que l’on progresse dans le jeu.
A la frontière entre le jeu de stratégie et le puzzle game
« Vandals, c’est un peu une boucle bouclée entre le moi d’il y a 15 ans qui jouait au jeu de stratégie Commandos, le moi d’il y a 10 ans qui faisait un peu de street art et celui d’aujourd’hui qui fait du game design », déclare Cosmografik qui, en matière d’influences, évoque aussi Hitman Go et Lara Croft Go, les déclinaisons mobiles de deux grandes séries de jeux vidéo. Comme ces dernières, Vandals évolue en funambule à la frontière entre le jeu de stratégie et le puzzle game.
Concrètement, l’affaire se déroule au tour par tour et la conquête de l’espace urbain dépend d’un savant dosage entre la rigueur et l’audace. Pour ne pas se faire piéger (ou se piéger tout seul), il faudra soigneusement planifier la progression de votre émule virtuel de Keith Haring ou de Jean-Michel Basquiat. Et, aussi, ne pas gaspiller inutilement nos ressources, comme ces (rares) bouteilles qui, lancées à l’autre bout du niveau, pourraient attirer les flics qui nous traquent et libérer ainsi le passage vers le point où déposer notre graffiti (que l’on dessine nous-même) ou vers la sortie. Parfois, la solution s’impose d’emblée, mais il arrive aussi que l’affaire paraisse impossible. Et puis, soudain, c’est à nouveau l’évidence. Alors, ivre de notre triomphe, on admire même le « ballet » des policiers qui tournent et virent dans la ville sur le même tempo.
« Qu’est-ce que c’est d’aller dans un lieu pour graffer ? interroge l’auteur de Vandals. C’est penser, repérer, ne pas se faire voir, être le plus discret possible. Il y a beaucoup de préparation. Mike Bithell, qui a notamment fait Thomas Was Alone, dit que les jeux d’infiltration sont en fait des jeux de puzzle déguisés en jeux d’action. Il faut trouver le bon endroit pour se faufiler, la bonne faille… Vandals est un jeu de réflexion mais, pour moi, ça nourrit le sujet principal. Dans la rue, il faut réfléchir à tout : à comment on va sortir, à quels habits on va mettre, à ce qu’il faut faire pour ne pas être repéré. »
La réussite de Vandals est là : on ne s’y sent pas vraiment dans la peau d’un graffeur mais, plutôt, dans son cerveau, moins dans le geste de la main que dans l’idée, voire la philosophie, à la fois combative, esthète et subversive, du street art. Dans le meilleur des cas, c’est notre parcours même, nos percées fébriles et nos esquives miraculeuses, que l’on en vient à trouver beaux. Une partie du sens de Vandals est sans doute là : dans la conviction qu’avec le graffiti, l’art n’est pas seulement sur les murs – pas seulement dans la « production » finale – mais, aussi, dans les lignes que tracent les évolutions clandestines des artistes qui s’approprient la ville. Dans le fugace, l’éphémère, l’invisible. Sous le puzzle game, une leçon de vie – quasi.
Vandals (Audiogaming / Ex Nihilo / Arte), sur iOS, Android, Mac et PC, 4,49€
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