Ils sont libres mais pas libertins, amoureux mais pas fusionnels. Pour certains couples, vacances d’été riment avec « séparé de l’être aimé ». Une nouvelle tendance qui réinvente les offres de vacances depuis quelques années.
Maud, 25 ans, n’a connu qu’un seul homme dans sa vie et cela dure depuis dix ans. Avec Vincent, ils se suivent partout, au gré de leurs études et de leurs boulots. Mais pour les vacances, le couple n’a plus la même logique et il part séparément. « On a un fonctionnement assez libre, confie Maud. Dès le début de notre relation, on s’est construit comme ça, en se laissant vivre et en allant voir nos familles séparément autant que possible. »
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Cet été, Maud laisse donc Vincent chez eux, dans le Var, pour aller voir son frère à Auxerre, puis passer deux semaines en Espagne avec ses amies. Des congés en solitaire qui suscitent l’étonnement de son entourage. « Mes proches apprécient de pouvoir profiter de ma présence sans lui, mais ils me disent que ce n’est pas correct à son égard. » Vincent ne se sent pas offensé en restant quelques jours sans elle. Au contraire, il approuve. « Lui, il part régulièrement au ski avec sa famille en hiver, c’est chacun son tour », s’amuse l’éducatrice spécialisée.
Dans le couple de Valentine, même principe. Son compagnon, Tim, part tous les étés sans elle, à Majorque avec ses copains, et la rousse de 27 ans s’offre, elle, des vacances annuelles au Maroc, avec sa mère. « Nous profitons de chaque jour ensemble et nous formons un vrai duo, précise Valentine en décrivant deux épicuriens, mais nous nous laissons pas mal de liberté. » Ce duo préfère d’ailleurs ne pas se projeter dans le temps. « Nous nous faisons confiance, c’est surtout ça qui soude notre couple », insiste la Bretonne.
L’harmonie parcimonie
A l’instar de Maud et Vincent, et de Tim et Valentine, nombreux sont les 20-40 ans à partir sans leur conjoint. Des couples pour qui l’engagement serait éphémère d’après la psychologue Danièle Cottereau, « parce qu’ils caractérisent une génération d’enfants de divorcés », estime-t-elle.
« Ces couples ne se projettent pas particulièrement, ils préfèrent se dire qu’ils font un bout de route ensemble. » Et pour ne pas avoir à le regretter, ils préfèrent donc privilégier les amis ou la famille pour les départs en vacances, analyse la psychologue.
Le sociologue François de Singly remarque aussi que ces couples n’ont pas la même pratique conjugale que les générations antérieures. Dans son ouvrage Libres ensemble, il décrit des ménages où la vie à deux n’est plus omniprésente.
« C’est le ‘je’ avant le ‘nous’. L’harmonie du couple est bien là mais ce n’est pas la dominante absolue, détaille-t-il. J’agis pour moi en priorité et ce n’est pas par égoïsme ou infidélité. »
Pour le sociologue, cela se vérifie essentiellement chez les couples hétéros et ceux qui ne sont pas mariés.
Couple libre
Angelia s’est pourtant fait passer la bague au doigt, l’année dernière à Cancun. Avec Sébastien ils sont parents d’un bébé de 5 mois. Elle est Canadienne, lui Américain et ce couple de basketteurs professionnels vit à Saint-Etienne depuis quatre ans. « Nos vacances d’été nous permettent de rentrer dans nos pays respectifs, témoigne la jeune maman. C’est plus facile de passer des moments en famille sans le conjoint. »
Cela ne veut pas dire que le couple ne s’ouvre pas à la culture de l’autre. « Mais on se voit tous les jours en France. On a le même métier et donc les mêmes fréquentations. Ça fait du bien de prendre un peu de temps pour soi et de ne pas rester constamment avec l’autre », analyse la Canadienne.
Pour François de Singly, le modèle du concubinage ou du mariage minimise beaucoup plus la notion de famille qu’au siècle précédent. Il développe ce mode de pensée:
« Ce n’est pas parce que j’ai épousé cette personne que je dois aller dans sa famille à chaque fois qu’elle s’y rend. Je veux partir avec mes copines, mais je peux concevoir que cela ne te tente pas alors je t’épargne ça ! »
C’est le cas de Charlotte. Cet été, la Clermontoise a prévu des vacances à Berlin avec sa bande de potes avant de s’envoler pour l’Inde, où elle rejoindra sa mère. « Cela me semble tellement évident de partir chacun de notre côté dès qu’on peut, témoigne cette brune de 30 ans. C’est aussi pour des raisons financières que Julien, mon copain ne m’accompagne pas. Mais on est un couple libre et quand on fait des choses séparément c’est avant tout par envie », insiste-t-elle.
Le principe de « Célibacouple »
Avec la distance, retour à la communication par Skype, WhatsApp ou Viber… Une pause bénéfique, d’après les intéressés, qui redeviennent célibataires, sans pour autant jouer les cœurs à prendre.
« Ce fonctionnement n’a rien de libertin mais il dévoile un besoin de ne pas couper court à la vie de célibataire, raconte Danièle Cottereau. C’est ce que j’appelle le ‘célibacouple’ : ils ne se trompent pas mais ils laissent une porte ouverte à d’autres rencontres. »
Une manière de voir si leur histoire va durer ? Si le conjoint est jaloux ? Ou s’ils partagent leur vie avec la bonne personne ? « C’est un peu les trois, mais c’est clairement assumé par les deux parties, alors ça ne génère pas de conflit », insiste la psychologue.
Cela fait trois ans que les maisons d’édition jouent sur cette nouvelle tendance dans les guides touristiques.
« C’est un fonctionnement que l’on n’avait pas anticipé plus tôt », regrette Line Karoubi, directrice des Géo Guide de Gallimard, « Alors on a réorienté nos contenus et depuis nos ventes spéciales vacances entre amis ont augmenté de 15%. »
En revanche, pas de brochures « Vacances en solo », mais pléthore de séjours thématiques. « D’après nos enquêtes de terrain, quand les couples se séparent, c’est surtout pour faire des activités différentes », précise Line Karoubi. Une manière pour les guides touristique d’inciter les couples à partir séparément, et de conserver leurs activités respectives pendant l’été. « Mais on n’est pas là pour leur organiser des speed dating », ironise-t-elle.
Le flirt anodin
« Le noyau dur de ces ménages, c’est la fidélité sexuelle », poursuit François de Singly. Le sociologue estime que les couples se séparent pour draguer et se laisser draguer, sans pour autant franchir le pas avec un(e) autre. « Les deux conjoints ne seraient pas dans la même logique de vie ensemble si l’un des deux avaient des tendances infidèles », confirme la psychologue Danièle Cottereau. Un fonctionnement fragmenté, où les couples ont justement besoin de ces séparations pour accorder de l’importance à la séduction, à l’amusement, et à la fidélité. Et ce n’est pas la psychologie qui explique tout cela mais bien l’Histoire.
« A l’époque du Front populaire, les congés payés étaient le nec plus ultra pour les amoureux. L’occasion de partir ensemble et de vérifier la solidité du couple en prenant du bon temps à deux », détaille François de Singly.
Les vacances séparées étaient alors un indicateur de rupture. « Dans notre société contemporaine, les couples se disent ‘je pars et je reviens’’, et c’est en ce sens là que les preuves d’amour se manifestent », conclut le sociologue. « Aujourd’hui, c’est le fait de rester constamment avec le conjoint qui devient un indice de problème dans le couple. C’est bien parce qu’ils sont heureux ensemble qu’ils partent séparément« .
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