Apparu dans les années 70-80 en France, l’urbex – de l’anglais urban exploration – attire de plus en plus de pratiquants. Des explorateurs bien décidés à sauver la mémoire des lieux.
The Golden Castle en Écosse, le Sanatorio de la Tormenta en Espagne, L’Abbaye Saint-Thomas en France ou encore Grau Häuser en Allemagne. Entre ces lieux, un point commun : avoir été abandonnés puis être devenus des spots d’urbex reconnus, régulièrement explorés par des curieux en quête d’aventure.
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6,3 millions de hashtag #urbex
Chaque mois, des dizaines d’explorateurs parcourent ces lieux interdits. Parmi eux, Timothy Hannem, « urbexeur » depuis maintenant plus de vingt ans et à l’origine de l’ouvrage Urbex Europe, 35 lieux secrets et abandonnés en France et en Europe. Il raconte ses débuts : “J’ai toujours visité ces lieux, comme beaucoup de gamins qui explorent les maisons abandonnées à côté de chez eux. Sauf que j’ai continué. Avec mes études d’architecture, j’ai commencé à m’intéresser aux bâtiments en eux-mêmes, à leur histoire, et à les prendre en photos.” En 2004-2005, alors que l’un de ces lieux est rasé, Timothy réalise l’importance de son travail : garder la mémoire de lieux qui n’existent plus.
Dès lors, Timothy ne cesse de parcourir le globe afin de préserver la mémoire des bâtiments : France, Portugal, Italie, Pays-Bas, Suède, Belgique… Et il n’est pas le seul. Sur Instagram, on dénombre 6,3 millions de hashtag #urbex. Un phénomène constaté par Timothy : “J’ai surtout vu cette explosion sur Youtube, où énormément de personnes font des vidéos urbex et sont suivies par 500 000, voire un million d’abonnés.” Il analyse : “Cette quête de likes est dans l’air du temps, on cherche le maximum de reconnaissance par rapport aux spots les plus spectaculaires.”
Si ce succès via le web se constate depuis une dizaine d’années, l’histoire de l’urbex remonte aux années 70-80, bien que le terme soit apparu ultérieurement. La France, du fait des catacombes, entretient une relation particulière à l’exploration : “À Paris, s’il y a une chose à visiter qui fait un peu peur, c’est bien les catacombes. C’est devenu le lieu le plus connu. Mais cela diffère de l’Urbex pur. Dans les catacombes, ce sont principalement des gens vont se poser et passer une bonne soirée.” Timothy détaille : “Il y a vraiment plusieurs catégories : ceux qui sont en surface, les sous-terrains – les catacombes et les carrières -, puis les gens qui montent sur les toits des villes.” Trois pratiques réunies dans le même rayon mais qui ne se fréquentent que peu : “Globalement, chaque groupe aime bien rester dans son coin. Surtout pour les catacombes et les toits, en surface c’est un peu plus varié puisque c’est plus facile, ça attire plus de gens.”
“Connaître l’histoire rajoute une plus-value à l’exploration”
Au-delà des visites, Timothy s’attache à photographier les lieux et à les dessiner : “Le dessin fait passer des instants qu’on ne retrouve pas en photo ou en vidéo. Si je suis dans un château, que je me promène dans le parc et que je tombe sur une biche que je n’ai pas le temps de prendre en photo, c’est génial de pouvoir en faire en dessin.” Avec toujours le même but : capter l’âme des lieux au plus proche et créer des archives : “Je souhaite créer des souvenirs mais aussi faire rêver les gens, qu’ils aient la sensation d’explorer ces lieux tout comme moi. C’est pour ça que j’écris des textes pour accompagner les visuels, comme une visite guidée. Néanmoins, comme les visites sont illégales, je ne mets jamais l’emplacement des lieux, excepté des indices.”
Son souvenir le plus marquant est d’ailleurs un lieu historique situé en Allemagne. Un ancien bunker de la seconde guerre mondiale : “C’était absolument fascinant à voir. Le fait d’être face à quelque chose d’unique au niveau architectural joue beaucoup, on va ramener un souvenir, de la matière. Et c’est impressionnant au niveau du récit. Les nazis étaient sur place, les Russes et les Américains ont tenté de détruire les lieux mais n’y sont pas parvenus, à cause de la solidité du bloc. Connaître l’histoire rajoute une plus-value à l’exploration.” À l’inverse, pas question pour Timothy d’explorer des lieux flambant neufs : “Ça ne m’attire pas trop, on a un peu l’impression d’être chez quelqu’un. J’en ai visité deux-trois comme ça et je ne me sentais pas très bien, j’avais l’impression que le propriétaire allait arriver. Plus il y a d’objets et plus ça sera dur de dire ‘je ne suis là que pour faire des photos’.”
Si l’Allemagne est riche en termes de lieux abandonnés – et réputée pour les conserver longuement afin de les réhabiliter – la Belgique et la France n’ont pas à rougir. Timothy détaille : “La Belgique est un paradis pour les gens qui aiment les usines. Du côté de la France, le plus gros est situé dans le Nord, entre Paris et Lille. Mais en réalité, il y en a partout ! De nombreux lieux n’ont pas encore été découverts donc c’est dur à dire. On peut parfois visiter une minuscule cabane abandonnée et trouver des merveilles à l’intérieur.”
La vidéo, un danger pour l’Urbex ?
Internet a bien évidemment joué un rôle majeur dans la quête infinie de ces lieux. Notamment les réseaux sociaux et Google Earth. Néanmoins, ces outils sont à double tranchant selon l’explorateur : “On trouve beaucoup de choses rapidement avec Internet, mais les fuites vont très vite aussi. Il suffit qu’une page suivie montre une photo avec un lieu à l’adresse non floutée, et les spots peuvent très vite être dégradés. Si je trouve rapidement un lieu, d’autres personnes l’auront trouvé aussi.” De plus, Internet retire le côté “chasse au trésor” de la pratique. La valeur d’un spot n’en est que plus grande lorsqu’il est découvert au terme de longues recherches personnelles. Plus que les fuites, le vrai danger viendrait de la diffusion de vidéos : “Quand c’est bien fait, il n’y a pas de soucis. Mais si on ne fait pas attention à bien sécuriser les photos ou les vidéos qu’on met, ça peut être très dangereux. Je fais toujours attention à flouter les indices. Je vois parfois des vidéos où la visite est filmée de A à Z, ce qui grille souvent complètement le spot.” À l’inverse de pays comme la Belgique ou l’Espagne, aucune amende n’est prévue en France pour ce genre de visites.
http://www.youtube.com/watch?v=FWkvriVg0UE
S’il y a de plus en plus de pratiquants urbex en France, il n’existe pas à ce jour de communauté réellement soudée : “On donne très peu nos adresses aux autres. Bien sûr, quand on connaît quelqu’un depuis longtemps, on se passe les spots. Il faut avoir confiance. Il y a des petits groupes un peu éparpillés mais il n’y a pas de vraie communauté qui va s’entraider. Chacun a sa page et il y a deux trois groupes du type ‘Urbex Paris’, ‘Urbex Picardie’…” À chaque pratique son lot d’originalités. Pour l’Urbex, il est incarné par les nurbexeurs, explorateurs pratiquant la photo de charme : “Dans ce cas-là, l’histoire du lieu n’a pas d’intérêt, l’avantage est d’utiliser le décor. Les lieux abandonnés offrent un décor tout prêt, il n’y a plus rien à faire si ce n’est de poser. C’est d’ailleurs pour ça qu’il y a tant de clips, comme Damso (ndlr : clip Smog). Il y a juste à poser sa caméra et c’est bon. Ce mélange entre un lieu de ruines, dangereux, et une personne au milieu, nue et fragile, se suffit à lui-même. Après il y a à boire et à manger…”.
Timothy Hannem (Avec la collaboration de Nassera Zaïd), Urbex Europe. 35 lieux secrets et abandonnés en France et en Europe, Arthaud Hors collection – Beaux livres, 192p.
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