L’enseigne Urban Outfitters, où l’on peut acheter une paire de Vans aussi bien que le dernier Kendrick Lamar, compte cinquante points de vente en Europe et arrive à Paris. Reportage à Londres au siège de la société.
C’est le premier jour des vacances scolaires et le magasin Urban Outfitters situé sur Oxford Street, à Londres, est bondé. Le flagship store, ouvert en août 2004, accueille jusqu’à 11 000 clients par jour, un chiffre qui peut grimper jusqu’à 13 000 les week-ends de paye.
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Au dernier étage, on croise trois copines entre le stand de soldes et la section beauté. Josie, Poppy et Polly, 13 ans toutes les trois, viennent chez Urban Outfitters pour sa sélection de marques. Polly y a trouvé ses Vans Old Skool, tandis que Josie a dépensé son bon cadeau de Noël sur un pull Fila.
Les marques de streetwear occupent une majeure partie de l’espace de vente, et sont ce qui part le plus vite : “Champion, Adidas, Fila, Tommy Hilfiger… Toutes ces collections de marques s’envolent littéralement des étagères”, confie Killian, un vendeur de la section prêt-à-porter femme.
En boutique, la marque Iets Frans s’arrache
Sur une table de présentation, aux côtés de T-shirts Fila, de sweats Champion et de chaussettes Adidas, se détache une marque à l’esthétique rétro et au nom intrigant. Sur un pull en coton coloré, coupe courte, une bande blanche court le long des bras et des épaules, inscrivant le logo “Iets Frans” sur chaque côté de la pièce. En boutique, la marque Iets Frans s’arrache, se déclinant sur des ceintures, des sacs, des chaussettes disséminés aux quatre coins du magasin.
Une autre marque des années 1990 qui renaît de ses cendres ? Pas du tout : Iets Frans est un pur produit de la design team britannique d’Urban Outfitters, qui a voulu recréer l’émulation autour des marques de sportswear vintage vendues en rayon – type Champion, Fila ou Sergio Tacchini – pour sa propre marque, imaginant de toutes pièces une ligne s’inspirant de l’esthétique rétro des best-sellers de sa boutique.
“Prenez une marque comme Kappa : vous ne connaissez pas son histoire, ni même la signification de son nom, explique Will Anstee, responsable de design pour la division homme européenne. On a voulu recréer la même chose, une marque pour les aficionados : on la connaît, ou on ne la connaît pas.”
Anticiper les désirs de ses clients est au cœur de la démarche d’Urban Outfitters, le multimarque américain perçu comme le vecteur principal de “mainstreamisation” de la culture hipster. Dans ses boutiques-emporiums de plusieurs étages, où la musique est à fond et la faune éclectique, on trouve autant une sélection de prêt-à-porter et d’accessoires que des platines vinyle, des livres de cuisine végétarienne, des draps imprimés avocat ou des minicactus dans des pots en céramique colorés.
Un point de convergence de toutes les tendances
Chaque boutique, au décor industriel, a son propre Photomaton, ainsi que des cabines d’essayage gender-neutral et parfois même des jeux d’arcade vintage. Sur l’étalage de vinyles, Rumours de Fleetwood Mac côtoie Damn de Kendrick Lamar, entre le dernier album de Taylor Swift et celui de Sam Smith.
Moins snob qu’un concept-store pointu, plus pop-culture qu’un grand magasin classique, Urban Outfitters s’est imposé en quelques années comme le point de convergence de toutes les tendances qui ont agité les millennials ces dernières années, redessinant les modes de consommation à l’ère 2018.
“Ça a été une des toutes premières chaînes de retail à proposer un vrai lifestyle, explique Nathalie Rozborski, directrice générale adjointe du cabinet de tendances Nelly Rodi. Une version globale de la consommation, allant du carnet à la chaussette en passant par la casquette, mélangeant le prêt-à-porter masculin et féminin. On assiste à un décloisonnement total des univers de consommation.”
Faire rester le client le plus longtemps possible
Un business model qui fait mouche : depuis la création de l’enseigne à Philadelphie dans les années 1970, Urban Outfitters s’est implanté en Europe en 1998, où elle compte désormais cinquante points de vente. Le multimarque arrive en France le 21 février.
Il occupera un espace de 10 000 mètres carrés rue de Rivoli, après une ouverture en grande pompe à Milan en décembre 2017 et avant de s’envoler à Oberhausen pour ouvrir leur dixième boutique allemande en mars. Comment expliquer un tel succès, à une époque où les marques sont plus poussées à fermer leurs boutiques qu’à en ouvrir ?
“Pour les marques et les magasins, face à la montée du digital, il est capital de proposer un véritable univers, reprend Nathalie Rozborski. On ne va plus seulement en boutique pour acheter, mais aussi pour découvrir un univers de marques. Chez Urban Outfitters, il y a une ambiance particulière créée par la musique, la lumière, le merchandising, le mobilier… L’avenir du retail est là : entre le showroom, le magasin expérience, le magasin entertainment et le magasin vitrine. Tout pour faire rester le client le plus longtemps possible.”
Le succès d’Urban Outfitters ne repose pas uniquement sur sa belle sélection de marques. Entre deux rayons, on croise parfois un membre de l’équipe créative de la ligne Urban Outfitters, venu prendre le pouls de l’ambiance en boutique.
Cool kids & sneakers griffés
Impossible de les repérer : ils ont exactement le même style que leurs clients. “Notre équipe vit et respire la marque”, raconte Lizzie Dawson, directrice créative, à propos de sa team de designers (douze pour le prêt-à-porter femme, quatre pour l’homme) qu’elle a assemblée de toutes pièces à son arrivée en 2015, après treize ans au sein de la marque Topshop.
“Nos designers et nos acheteurs sont avant tout des clients.” En visitant un des locaux d’Urban Outfitters Europe, situé à deux pas de la boutique, force est de constater qu’on y compte autant de man buns et de sneakers griffés que sur les cool kids croisés en rayons.
Au cœur de la réflexion de son équipe : le “comment porter”. “Urban Outfitters est connu pour sa grosse sélection de marques de sport,” explique Lizzie, qui, dès son arrivée, a repensé la marque dans une optique de complémentarité entre les pièces choisies par les acheteurs et celles dessinées par Urban Outfitters. “Mais personne ne veut s’habiller en une même marque de la tête aux pieds ! On imagine donc la jolie robe vaporeuse qu’une fille voudra porter sous son gros blouson de sport.”
Un focus sur les boutiques vintage de par le monde
Pour dessiner ces pièces complémentaires, l’équipe de Lizzie traque l’inspiration partout dans le monde, se focalisant principalement sur les boutiques vintage : Los Angeles, Paris – deux de ses designers reviennent d’un énorme hangar de vintage, dont le nom est gardé secret, au nord de Paris –, Londres, mais aussi dans chacune des villes d’origine des membres de l’équipe. Lizzie vient de Nottingham, au nord de l’Angleterre, et ne manque pas d’y visiter les boutiques et de s’inspirer des looks qu’elle croise dans la rue à chaque fois qu’elle rentre.
“Nous sommes comme des éponges qui se nourrissent de tout ce qui se passe autour de nous : sur les réseaux sociaux, dans divers quartiers de Londres, tout autour du monde.” Comme un bureau de tendances, en quelque sorte ?
“Dès mon arrivée, je savais qu’on n’aurait jamais besoin de faire appel à des tendanceurs professionnels. Un jour, un des membres de l’équipe est arrivé habillé d’un jogging Kappa à boutons pression, trouvé dans un marché aux puces. Peu de temps après, on relançait la marque en boutiques, avec le succès qu’on lui connaît.”
Si la cible est plutôt jeune (18-35 ans) et aux styles radicalement différents, l’équipe de designers se focalise sur cinq “clients robots”, comme un groupe d’amis aux styles complémentaires : trois filles – la fan de streetwear pointu et coloré, la bohème qui aime les robes fluides et les jolis imprimés, la scandinave qui porte longs manteaux et chemisiers arty – et deux mecs – le skateur et le sportswear-addict.
Mélanger pièces homme et femme sur les mannequins
Mais la marque célèbre les croisements de garde-robe : “Un mec va se balader dans la boutique avec sa copine et piocher sans problème des pièces de notre sélection femme, comme des ceintures ou des sacs, racontre Lizzie Dawson. Et vice versa : certaines de nos coupes jean pour hommes sont très populaires parmi nos clientes. Les clients ne se séparent pas en fonction de leur genre, ils font leur shopping ensemble.”
En boutique, les visual merchandisers n’hésitent pas à mélanger pièces homme et femme sur les mannequins, brouillant les différences entre les gammes : un T-shirt homme, un jean femme, un blouson homme, des baskets femme. En octobre 2017, Urban Outfitters dessine sa premiere pièce unisexe, un costume deux-pièces en laine.
Le succès est tel que l’équipe réitère l’expérience pour l’été, imaginant une version en coton rayé. Une démarche pionnière pour cet ovni de la fast fashion. “Je crois qu’on a un peu bafoué toutes les règles”, estime Lizzie avec un sourire malicieux. Aujourd’hui, à part son jean et ses bottes, elle aussi ne porte que des pièces homme.
Urban Outfitters 146, rue de Rivoli, Paris 1er
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