Nicolas Sarkozy a annoncé le déblocage de 11 milliards d’euros d’investissement dans l’enseignement supérieur et 8 milliards d’euros pour la recherche. Emmanuel Saint-James, président du collectif Sauvons la recherche, réagit aux propositions du président.
Au total, 19 milliards d’euros sur les 35 milliards du grand emprunt seront consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche. C’est une bonne nouvelle ?
En réalité, une grande partie de ces sommes ne sera pas attribuée aux organismes concernés, mais placée, sous forme de fonds propres ou par l’intermédiaire d’agences. Seuls les intérêts de ces placements seront versés directement aux établissements. Cela ramène ces milliards à quelques millions. Il est très difficile de donner un chiffrage précis, mais nous sommes très loin des 3% du PIB consacrés à la recherche et à l’enseignement supérieur au Japon.
Est-ce un leurre d’afficher cet investissement comme une priorité ?
Il y a un effet d’annonce absolument énorme. Vu le retard pris en matière d’investissement dans notre pays par rapport aux USA ou au Japon, on reste dans un effort de recherche extrêmement modeste. Avec ce grand emprunt, on ne fait que rattraper le retard, et encore… Quand vous avez été d’une avarice extrême et que d’un coup vous vous mettez à faire l’aumône, il y a un changement d’attitude mais vous continuez à être pingre. L’effort budgétaire de notre pays reste très médiocre, même avec ce petit appel d’air. Il est inquiétant de présenter l’allocation de capitaux propres aux universités comme quelque chose de formidable et de mirifique. Le chef de l’Etat dit : « ça les met à l’abri des décisions arbitraires du gouvernement année après année ». Cet arbitraire là est remplacé par un autre, beaucoup plus risqué : l’arbitraire boursier. Ca s’est fait aux Etats-Unis et en Angleterre. Ces universités là ont des problèmes budgétaires terribles, parce qu’elles aussi ont été victimes de la crise des subprimes. La politique d’autonomie est en fait un désengagement de l’Etat qui consiste à dire aux universités : « on vous donne des capitaux propres et débrouillez-vous par vous-mêmes. » C’est vraiment se moquer du monde.
Nicolas Sarkozy a déclaré vouloir « les meilleures universités du monde » en France. Il souhaite distinguer « une dizaine de campus d’excellence avec les moyens, la taille critique pour rivaliser avec les universités mondiales» et «muscler les pôles de compétitivité». Qu’est-ce qui pour l’instant empêche les universités françaises de briller dans les classements internationaux ?
D’abord il faut être extrêmement prudents avec ces classements internationaux. Comme par hasard les politiques brandissent ceux qui les intéressent. Le CNRS a été classé premier institut de recherche au monde par un indice espagnol tout à fait sérieux il y a quelques mois, ça n’a pas fait la une des journaux. On parle toujours des critères de Shanghai, dénoncés par les statisticiens comme étant extrêmement mal fichus. Ce classement additionne toutes les matières. Une université qui a quarante prix Nobel en physique mais qui ne fait pratiquement que de la physique va être mal classée. Valérie Pécresse pousse au regroupement des universités parce que si toutes les matières sont représentées au sein de la même institution, les scores augmentent. La politique affichée depuis le début est de distinguer une dizaine de pôles à favoriser. Ce n’est qu’un artifice de présentation. On va mettre beaucoup d’argent dans ces regroupements à l’efficacité contestable et délaisser les autres. Sur plus de la moitié des régions, la jeunesse qui y habite ne pourra donc pas se former de manière sérieuse.
Est-ce que vous contestez la généralité selon laquelle les universités françaises sont moins bonnes qu’ailleurs ?
Je conteste simplement le fait qu’on puisse émettre un jugement aussi général. Il est connu qu’en France on a une bonne école de mathématicien, on peut être mauvais dans d’autres disciplines. A quoi sert d’additionner des carottes et des navets ? C’est ça le problème de fond.
Le président dit vouloir mettre l’accent sur la recherche en biotechnologies et en nanotechnologies. Ces priorités vous paraissent-elles justifiées ?
Les thèmes choisis sont plutôt recevables, mais la manière dont les industries en question vont réagir me fait peur. En ce qui concerne les biotechnologies, le discours est de rapprocher les laboratoires publics des entreprises. Le résultat chez Sanofi a été de fermer leur centre de recherche en disant « finalement on peut sous-traiter ça aux laboratoires publics ». Comme ils sont déjà payés par le ministère, cela revient beaucoup moins cher. C’est de la sous-traitance quasiment gratuite.