L’édito de Diane Lisarelli
Vous êtes beau, vous êtes bronzé, vous êtes à l’étranger. Vous vous baladez tranquillement dans une rue inconnue quand soudain vous surprend “un air de déjà-vu”. Anomalie temporaire du système neuronal ? Cryptomnésie ? Réminiscence d’existences antérieures ? Ou souvenir fugace de rêves prémonitoires ? Non. Juste un constat : celle du puissant mouvement d’uniformisation à l’œuvre à travers le monde. C’est lui qui, de Los Angeles à Berlin en passant par Paris, Londres ou Varsovie, vous permet de déguster d’excellents cafés fraîchement torréfiés dans des établissements à la décoration similaires – mais revendiquant leur singularité.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Est-il déjà arrivé que des villes si éloignées tendent à ce point à se ressembler ? Oui, vous répondront quelques esprits savants en vous renvoyant au “temps béni des colonies”, celui où, par exemple, les Allemands construisaient des maisons à colombages au Brésil. Qu’en est-il aujourd’hui alors que dans certains quartiers jusque-là populaires s’ouvre une foule d’échoppes branchées bien souvent calquées sur un même modèle (le commerce brooklynite)… Et qui font du même coup grimper le prix du mètre carré ?
Force est de le constater : en 2015, une des figures de la gentrification possède une barbe et un petit bonnet retroussé. Son cœur a beau être français, allemand, anglais ou new-yorkais, son QG, lui, est international. Maniant à merveille l’image, il impose et exporte ses codes là où il décide de (se) poser. Peur sur la ville ! En bas de la rue, l’épicerie pourrie a été remplacée par un bar à jus healthy ! Doit-on s’en réjouir ou s’en désoler ? La transformation très “photogénique” de certains quartiers est-elle un progrès ? Un moteur de mixité ?
>> Lire aussi: notre dossier sur la gentrification, hipsters sur la ville
Et qu’en est-il de ces populations que la ville repousse chaque année ? Parmi les responsables désignés : le hipster. Fils illégitime du bobo et du branché, il est un monstre médiatique dont le profil sociologique reste bien difficile à cerner. Dès lors, cet acteur gesticulant du processus de construction et déconstruction permanente qu’est la ville porte-t-il seul sur ses épaules couvertes d’un chandail vintage le poids de la métamorphose de nos quartiers ?
Peut-être lirez-vous ce papier en dégustant un café latte, votre MacBook ouvert à côté de vous sur cette table en bois patiné, tranquillement installé dans ce nouveau petit troquet. Pire : peut-être venez-vous de réaliser que ce hipster qui vous fixait méchamment depuis tout à l’heure à travers cette vitre d’atelier n’était autre que votre reflet dans un miroir chiné. Pas d’inquiétude : pour vous rassurer, dites-vous que la position la plus inconfortable est bien celle de l’auteur de cet édito. De ce petit texte qui ouvre laborieusement un magazine que l’on a bien souvent étiqueté (à tort ?) “bobo” et “branché”.
Tant pis, donc, si certains esprits chagrins crieront à l’ironie. Il n’est pas question ici d’initier une séance d’autoflagellation ni même de soutenir une thèse de sociologie (sans dec). Juste l’occasion de soulever quelques questions importantes (le logement, les transformations de la géographie sociale des villes, les rapports de cohabitation entre groupes sociaux, etc.) pour ensuite, si le cœur vous en dit, les approfondir avec les ouvrages des chercheurs interrogés dans ce dossier.
En attendant, trois petites choses pour vous consoler : vous êtes beau, vous êtes bronzé et ces carreaux de ciment vont finalement aussi très bien dans votre salle de bains.
{"type":"Banniere-Basse"}