Théâtre d’une guerre civile sanglante de près de trente ans, la “larme de l’Inde” est une destination convoitée. Une ONG propose un parcours hors des établissements tenus par les militaires.
Ganepalla, à 90 kilomètres à l’est de Colombo. Perché sur une colline qui surplombe la jungle, un jus d’ananas à la main, on ne sait où poser le regard. D’un côté, des chutes d’eau hypnotiques, de l’autre des cocotiers où se planquent des oiseaux multicolores. En arrière-plan, les montagnes se détachent d’un ciel sans nuage. “Le Sri Lanka, c’est magnifique, hein ?”, confirme le propriétaire de la maison d’hôte, entre deux coups de machette sur une innocente king coconut.
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Une réflexion pas très inspirée, qui reviendra néanmoins tout au long du séjour. Sur les plages interminables du sud, au sommet du pic d’Adam – c’est ici que le premier homme aurait posé le pied après s’être fait chasser du jardin d’Eden –, dans la ville coloniale de Galle…
“Ne passez pas vos vacances avec des criminels de guerre”
Véritable île au trésor dont Marco Polo louait déjà la beauté au XIIIe siècle, la “larme de l’Inde” est devenue une destination de vacances très convoitée. Ravi par la douceur de vivre ambiante, on oublierait presque que ce petit paradis terrestre a été le théâtre de l’une des guerres civiles les plus meurtrières du siècle. Des militants pacifistes se chargent donc de le rappeler.
“Ne passez pas vos vacances avec des criminels de guerre ou des personnes qui bafouent les droits de l’homme.” Inscrite en gros caractères sur le site de l’ONG Sri Lanka Campaign for Peace and Justice, cette phrase choc entend éveiller les consciences. Et sensibiliser à l’importance d’un tourisme éthique.
Car visiter un pays qui sort d’une guerre civile de près de trente ans a un impact particulièrement fort. Si le conflit qui opposait le gouvernement, dominé par la majorité cinghalaise, et les Tigres tamouls (un groupe séparatiste ultra-violent, spécialisé dans les attentats kamikazes) a pris fin en 2009, de vives tensions demeurent.
L’ONU a beau sommer le gouvernement de répondre aux allégations de crime de guerre et d’établir les responsabilités en vue d’une réconciliation nationale, celui-ci s’y refuse. Un sentiment d’impunité se développe et l’oppression de la communauté tamoule continue. A cela s’ajoute une autre particularité de l’armée sri lankaise : sa mainmise sur le secteur touristique.
“De la peur au sein des communautés locales”
Elle possède de nombreuses structures dédiées aux visiteurs. De l’hôtellerie aux compagnies aériennes, en passant par les balades en mer pour admirer les baleines, les forces armées semblent très polyvalentes. Les équipes de Sri Lanka Campaign ont donc entrepris de lister ces établissements afin d’informer les visiteurs qui préféreraient que leur argent bénéficie aux populations locales, plutôt qu’à ceux qui violent impunément les droits de l’homme.
Selon Richard Gowing, président de l’ONG, cette forte implication a été accompagnée et facilitée par des actes aussi déplorables que la réquisition de terrains et l’intimidation des habitants. La présence militaire dans les zones touchées par la guerre (le Nord-Est) n’en est que plus forte. “Cela génère du ressentiment et de la peur au sein des communautés locales qui doivent supporter l’indignité et l’insécurité de vivre juste à côté de l’armée, et qui continuent à être privées des bénéfices économiques que peut apporter le tourisme”, déplore-t-il.
Un discours qui s’entend peu dans le reste du pays, principalement cinghalais. Entre deux queues de poissons (une conduite tout à fait normale ici), Janaka Sampath, taxi à Kandy, affirme que le calme est revenu et qu’il a même des amis tamouls. Quelques heures de route plus tard, il expliquera néanmoins que, pour maintenir l’ordre, il est nécessaire de faire disparaître les fauteurs de troubles.
Des statues de divinités géantes où les singes n’osent pas grimper
Puisqu’ici on roule à 35 kilomètres par heure en moyenne, autant circuler en tuk-tuk. Bringuebalés à l’arrière d’un bolide tuné avec soin (néons, guirlandes, fausse fourrure : le plus kitsch sera le mieux), on explore les ruines et temples du fameux Triangle culturel, délimité par les anciennes capitales aux noms imprononçables – Anuradhapura et Polonnaruwa – et Kandy, au sud.
Pèlerins et touristes se croisent devant les dagobas (de gros dômes de brique renfermant une relique du Bouddha) et statues de divinités géantes sur lesquelles les singes n’osent pas grimper. On aperçoit même des éléphants. Mais pas de types en treillis. Ils ne se montrent pas plus lorsqu’on se promène dans les plantations de thé vert émeraude de Nuwara Eliya.
A moins de s’aventurer aux abords de Jaffna, on peut tout à fait voyager sans s’apercevoir de l’omniprésence militaire dans le domaine touristique, ni de la persistance de certains abus. D’où l’intérêt de cette liste de Sri Lanka Campaign, qui fournit une indiscutable bonne raison de préférer une maison d’hôte typique à un resort aseptisé.
Fiers des richesses multiples de leur île, les Sri Lankais se font un plaisir d’en raconter l’histoire. Venu chercher l’ombre sous les manguiers, on découvre les mille et un secrets de ce petit pays qui, avant d’être baptisé Ceylan par les Britanniques, portait le joli nom de Serendip.
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