La série philippine « Amo », diffusée sur Netflix, est accusée par les familles des victimes et les associations de lutte contre la toxicomanie de soutenir la sanglante « guerre contre la drogue » du président Rodrigo Duterte.
Après Narcos, Netflix lance une nouvelle série sur les cartels de drogue qui fait polémique aux Philippines. Amo (« maître » ou « boss », en philippin), visible aux États-Unis depuis le 9 avril, prend pour cadre l’actuelle « guerre contre la drogue » menée par le président philippin Rodrigo Duterte. Une campagne macabre responsable de plusieurs milliers de morts. Les familles des victimes accusent le réalisateur, Brillante Mendoza, de propagande et appellent Netflix à cesser la diffusion du programme.
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« Glorifier les meurtres de masse »
« Une série audacieuse et à suspense qui a le potentiel pour saisir les spectateurs amateurs de sensations fortes de par le monde », d’après le vice-président des acquisitions de contenus de Netflix, Robert Roy.
http://www.youtube.com/watch?v=dadvCSYxt0k
Une définition qui ne fait pas l’unanimité. Son but inavoué serait de « glorifier les meurtres de masse, les tueries et la violation des droits de l’homme », selon Judy Chang, directrice exécutive du Réseau international des consommateurs de drogues (INPUD), rapporte le Philippine Daily Inquirer. « La vie des personnes qui consomment des drogues – nos vies – ne sont pas des outils et des instruments à utiliser pour le capital politique ou les divertissements publics », a-t-elle ajouté.
Augmentation de 14% du nombre d’homicides
Depuis l’élection de Duterte en 2016, les « crimes et délits sur les personnes et les biens ont chuté de 22% », explique François-Xavier Bonnet, chercheur associé à l’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (Irasec), aux Inrocks. « Par contre, le nombre d’homicides a augmenté de 14% », ajoute-t-il. Une recrudescence qui s’explique par les exécutions sommaires, estimées à environ 12 000 individus, qui touchent en priorité les populations défavorisées.
« La population, dans sa majorité, soutient la guerre contre la drogue mais pas du tout les méthodes employées par le gouvernement », précise le géographe. « Duterte était perçu comme le défenseur du petit peuple qui commence, cependant, à douter de plus en plus de sa sincérité car cette campagne s’abat sur les pauvres des bidonvilles et met en accusation des politiciens de l’opposition quand les grands barons de la drogue et les proches de l’administration sont finalement peu inquiétés. »
Une guerre « nécessaire »?
Malgré les condamnations des Nations unies sur les méthodes employées par Duterte, Brillante Mendoza a toujours soutenu le chef d’État, comme il l’avait confié dans une interview aux Inrocks. Le réalisateur, primé à Cannes (Kinatay, prix de la mise en scène en 2009, Ma Rosa, prix d’interprétation féminine 2016), avait expliqué qu’il considérait la campagne antidrogue comme une « nécessité », rapporte Le Monde. Il a, en effet, tourné plusieurs courts métrages défendant l’action gouvernementale.
« Nous devons reconnaître qu’il y a des problèmes et faire face à la réalité. »
S’il n’a pas souhaité donner d’interview pour répondre à la polémique, le cinéaste s’était préalablement exprimé auprès de Telegraph pour souligner, au contraire, les « différents points de vue » adoptés par la série.
Et a déclaré sur Twitter le 9 avril, « le public philippin doit regarder au-delà de ce que montrent les photos. […] Nous devons reconnaître qu’il y a des problèmes et faire face à la réalité. »
The Filipino audience has to look beyond what the pictures show. At the end of the day, it is not about being controversial, but simply being truthful about the issues that surround us. We have to acknowledge that there are problems going on and face reality. pic.twitter.com/mIh2CaUgoK
— Brillante Mendoza (@brillante_ma) April 9, 2018
« Tuer n’est pas juste »
Parmi les voix qui s’élèvent contre Amo, Luzviminda Siapo, mère de Raymart Siapo, 19 ans, originaire de Navotas, exécuté le mois dernier. « Je voudrais vous demander d’annuler cette série. La guerre contre la drogue n’est pas la solution. Pour moi, tuer n’est pas juste. Chacun mérite une chance de vivre et de changer sa vie », déclare-t-elle dans une pétition adressée au géant du streaming.
« La lutte des Philippins est la lutte de l’humanité. »
Indirectement, le réalisateur indépendant Lav Diaz, fervent critique de la politique de Duterte est devenu l’emblème du cinéma philippin engagé contre le gouvernement, en opposition à Mendoza. Venu présenter son dernier long métrage musical, Season of devil, à la Berlinale en février, il a déclaré lors de la conférence de presse du festival que « la lutte des Philippins est la lutte de l’humanité », contre « le fascisme et la barbarie ». Avant d’ajouter, « pourquoi avons-nous encore des gars comme Duterte, Trump et tous ces motherf****rs? »
Un discours que l’ancien journaliste du New York Times et chercheur pour Human Rights Watch’s, Carlos Conde a automatiquement mis en balance avec la position pro-Duterte de Mendoza, déclarant sur Twitter, « Pourquoi Netflix ne peut-il pas diffuser les chefs-d’œuvre de Lav Diaz, au lieu des vidéos propagandistes sur la ‘guerre de la drogue’ baptisées ‘Amo’ ? »
Unlike the Duterte sycophant @brillante_ma Mendoza, here's one director whose really, really long films I have watched and thoroughly enjoyed. Why can't @netflix stream Lav Diaz's masterpieces, instead of the "drug war" PR video ads called "Amo"?https://t.co/6NyzghpgIG
— Rights Report Philippines (@rightsreportPH) April 12, 2018
Révélateur des différences sociales
Une série qui n’est pourtant pas la première à s’intéresser à la question de la drogue aux Philippines. Ang Probinsyano, une fiction qui met en scène un jeune policier qui doit faire face à des barons de la drogue, des politiciens corrompus mais aussi des policiers ripoux et des rebelles, est diffusée quotidiennement, excepté le week-end, sur la grande chaîne privée ABS-CBN, depuis 2015. Cependant, « Amo est plus engagée politiquement que le Provinsyano« , analyse François-Xavier Bonnet. Pour autant, malgré les quelques levées de boucliers à l’encontre de la création de Mendoza, « peu de médias s’y sont vraiment intéressés », poursuit le chercheur.
« La guerre contre la drogue est un révélateur des différences sociales qui sont considérables dans l’archipel. »
En revanche, ces protestations restent significatives de la montée en puissance des critiques contre la politique de Duterte. « Le ministre de la Justice, Vitaliano Aguirre, a démissionné récemment car les trois plus importants barons de la drogue ont été relâchés grâce à un non-lieu », détaille Bonnet. Cette guerre reste « un révélateur des différences sociales qui sont considérables dans l’archipel », conclut-il.
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