“VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie !” retrace des décennies de lutte contre la maladie et contre les discriminations de tous types qui l’ont accompagnée.
“C’est une exposition sur quarante ans d’épidémie de sida, son histoire sociale et épidémique, ses enjeux et ses implications, sur la mémoire et les personnes concernées, explique Florent Molle, conservateur du patrimoine et l’un des co-commissaires de VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie !, à voir actuellement au Mucem, à Marseille.
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Le but n’est pas de mettre le sida au musée, mais plutôt de tisser des liens entre le patrimoine et la société, de faire un retour sur quatre décennies de la maladie et surtout de rappeler, d’où le sous-titre – ‘l’épidémie n’est pas finie !’ – emprunté au slogan historique de l’association de lutte Act Up, tous les combats et le chemin qu’il reste à parcourir afin d’endiguer l’épidémie.”
Ambitieuse et foisonnante, pionnière tant dans la forme que dans le fond, élaborée avec des personnes directement touchées par le sujet, l’exposition labyrinthique, dans laquelle il est facile de se perdre, évite l’écueil de la chronologie et de l’exhaustivité avec une scénographie en cinq parties.
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Autant d’angles larges qui se mêlent et s’entremêlent, s’apostrophent et se répondent, abordent les enjeux de l’épidémie aujourd’hui comme ceux d’hier, évoquent ses implications sociales et politiques autant que médicales et sanitaires, son aspect communautaire et intime. Sans négliger évidemment les luttes acharnées des débuts ainsi que les victoires acquises par le combat sans faille des anonymes engagé·es dans les associations.
Un parcours polyphonique
Dès l’entrée, histoire justement de ne pas ancrer l’épidémie dans le passé et de rappeler qu’elle est toujours un problème sanitaire majeur, un compteur indique qu’une personne dans le monde est contaminée par le VIH toutes les 46 secondes et que 38 millions d’individus sont porteurs du virus, pendant que des femmes séropositives marseillaises témoignent en vidéo de la réalité de leur vie.
Le reste de l’exposition, nourrie en grande partie par l’impressionnante collecte européenne de plus de 12 000 pièces (banderoles, flyers, tracts, affiches, badges, revues associatives, brochures de prévention, photos, vidéos, T-shirts à slogan, médicaments ou œuvres d’art) lancée au début des années 2000 en Europe par le musée national des Arts et Traditions populaires de Paris (qui, délocalisé à Marseille en 2005, deviendra le Mucem, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée), est un parcours polyphonique.
Un enchevêtrement de récits intimes et communautaires, individuels et collectifs, qui replace la parole des premier·ières concerné·es au centre du débat tout en restant attentif aux zones d’oubli comme aux groupes minorisés. “On a voulu refléter la diversité des formes de luttes, de populations, de communautés qui ont agi contre le sida, explique Vincent Douris, co-commissaire de l’exposition et militant de la première heure.
Le risque était de donner une place trop grande aux communautés gays qui se sont mobilisées très tôt, fortement, et ont produit beaucoup d’archives. On a donc essayé d’équilibrer le propos, en donnant la voix à des communautés frappées de plein fouet par le VIH, très actives mais moins médiatisées, telles que celle des usagers de drogues à Marseille, comme on a donné de l’espace aux migrants d’Afrique subsaharienne ou aux travailleurs du sexe qui, très vite, se sont organisés. La sélection s’est opérée avec le désir de donner à voir la pluralité des luttes, des points de vue et des engagements, dont beaucoup depuis ont été oubliés.”
Plus que jamais d’actualité
Des images bouleversantes de la photographe Jane Evelyn Atwood qui suit le quotidien de Jean-Louis, victime du sida, jusqu’à sa mort au traitement médiatique catastrophique des débuts de ce qu’on appelait “le cancer gay”, de la stigmatisation des malades – Jean-Marie Le Pen proposant de les enfermer dans des “sidatoriums” – à la rage de survivre et de lutter des communautés concernées, des photos des agit-prop de l’association Act Up aux cahiers de doléances des prostituées de la rue Saint-Denis à Paris, du travail de prévention sans faille des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence à celui d’Asud, association marseillaise à destination des usagers et ex-usagers de drogues, des porte-bonheur bricolés par les malades au travail mémoriel du patchwork des noms, des premiers traitements extrêmement lourds à l’avènement des trithérapies, qui, en 1996, vont offrir un espoir tangible à tous·tes les malades…
La force et l’intelligence de cette exposition, d’une richesse insoupçonnée, est justement de donner à voir – et de rendre hommage à – “une autre histoire” de la lutte contre le sida. Un récit plus ou moins invisibilisé au cours des décennies et éloigné de la représentation “officielle” de l’épidémie, romantisée et mythifiée avec le temps à coups de films, de livres, de photos chocs, de victimes célèbres ou d’œuvres d’art.
Si elle parvient à rendre compte avec justesse et réalisme de la violence effroyable des débuts, l’exposition, fidèle à son objectif social et politique, rappelle toutes les inégalités que l’épidémie de sida a révélées et dont certaines, amplifiées par le Covid, sont plus que jamais d’actualité.
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Qu’il s’agisse de la relation soignant·e-patient·e remise en question par des malades qui s’approprient l’expertise et la production de savoirs, de la lutte contre les brevets pharmaceutiques mis à mal par l’avènement des génériques, de la prévention (toujours défaillante) en milieu carcéral, de la notion de réduction des risques initiée par les associations d’usagers de drogues et contestée par le gouvernement actuel, de la pénalisation des travailleur·euses du sexe, de la gestion désastreuse des flux migratoires, de la nécessité d’un lieu d’archives LGBTQI+ françaises comme il en existe dans les plus grandes métropoles occidentales, des disparités sanitaires entre le Nord et le Sud toujours vivaces, des répercussions du postcolonialisme sur la santé comme le rappelle fort à propos un slogan de l’association Migrants contre le sida : “Nous avons survécu à l’esclavage. Nous avons survécu à la colonisation. Nous avons survécu à l’immigration forcée. Nous survivrons au sida.”
Un constat amer
Au final, si VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie ! soulève plus d’interrogations qu’elle n’en résout, elle met avec vivacité les pieds dans le plat en se demandant ce qu’il reste des luttes et des combats, ce que l’on en fait et ce que l’on en garde, comment on préserve leurs mémoires et leurs acquis, tout en laissant la porte ouverte à d’autres interprétations ou représentations.
“Il est vrai que se pose la question de l’héritage de l’épidémie de sida aujourd’hui, déclare Florent Molle. Est-ce que cela a vraiment transformé socialement et politiquement la société ? Si certaines avancées sont désormais manifestes, l’exposition prouve à quel point la lutte pour une égalité vis-à-vis de la santé des minorités sociales et sexuelles n’est pas terminée. L’épidémie de sida a effectivement révélé tous ces déséquilibres, mais ce n’est pas pour autant qu’elle les a réglés.”
Un constat amer partagé par Fabrice Olivet de l’association Asud dans le catalogue de l’exposition : “Que nous reste-t-il du sida ? Une phrase de ministre – ‘Responsable mais pas coupable’ – et des antirétroviraux. Le combat désespéré commencé contre les discriminations s’est achevé par la victoire des grands laboratoires pharmaceutiques. En ces temps de Covid, réinterroger la mémoire du sida, c’est aussi retrouver l’humain derrière le médicament.”
VIH/Sida, l’épidémie n’est pas finie ! jusqu’au 2 mai, Mucem, Marseille.
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