Fort du succès de XXI, Patrick de Saint-Exupéry prépare le lancement d’un nouvel hebdomadaire. L’ex-grand reporter s’explique sur son désir de retrouver l’esprit de la presse populaire et entend renouer avec le lecteur.
Mais qu’est-ce qui fait courir Patrick de Saint-Exupéry ? Le rédacteur en chef de XXI, qui refuse la dictature de l’actu chaude, vient pourtant de lâcher un sacré scoop. Il affirme détenir un témoignage prouvant l’implication de l’armée française dans la livraison d’armes aux génocidaires hutus du Rwanda. Il n’a pas hésité à mettre en cause le secrétaire général de l’Elysée de l’époque, Hubert Védrine, qui pour l’heure n’a toujours pas répliqué.
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Le grand reporter, prix Albert-Londres en 1991, a traversé les conflits, du Cambodge à la Yougoslavie, mais le Rwanda semble rester pour lui une plaie ouverte. Il a raconté son expérience intime du génocide, dans un ouvrage intense et cruel, entre enquête journalistique et voyage au bout de l’enfer,
L’Inavouable, paru en 2004 et on sent sa colère toujours présente quand il nous raconte sa rencontre en 1994 dans les vertes collines du Rwanda avec un baroudeur de l’armée française qui s’effondre en larmes devant lui en réalisant qu’il a formé les tueurs de l’armée rwandaise alors en pleine action.
Un journalisme délivré de la croyance en la gratuité
S’il a pris du recul face aux tragédies, il multiplie aujourd’hui les projets et court les plateaux afin de convaincre qu’un autre journalisme est possible. Un journalisme sans pub et sans esbroufe, qui fait confiance à la curiosité du lecteur, qui prend le temps de dénicher des “histoires vraies” et de nouvelles plumes, qui croit au papier et à la possibilité de raconter le monde avec des images et des BD.
Surtout, il en appelle à un journalisme délivré de la croyance dans la gratuité, persuadé que le lecteur est disposé à payer si on lui propose non des scoops éventés et des paparazzades, mais quelque chose qui possède une “valeur” – terme qui revient souvent dans sa bouche –, à la fois un bel objet et un moyen de compréhension du réel. Bref, une vision ambitieuse et modeste en même temps.
Mais ce programme, qui pourrait le faire passer pour un naïf, il l’a pourtant déjà brillamment réalisé, avec l’éditeur Laurent Beccaria, en concevant deux projets qui sont devenus les success stories que l’on sait, le mook XXI, lancé en 2008 puis, en 2011, 6 mois, élégante revue de photojournalisme. “L’idée était de rassembler le meilleur du journalisme avec le meilleur de l’édition”, et de quitter les kiosques pour les librairies. Un créneau dans lequel se sont engouffrés avec plus ou moins de succès et de talent, Usbek & Rika, Feuilleton, Charles…
Une excellente distribution dès le premier numéro
Pourtant ce n’était pas gagné. Patrick de Saint-Exupéry se souvient d’avoir présenté son projet dans une école de journalisme à la fin des années 2000, à l’acmé du triomphe du tout-gratuit sur internet et déclenché une véritable bronca en annonçant le prix de sa future revue : 15,50 euros sans publicité. Mais, à la sortie du premier numéro de XXI, Saint-Exupéry et Beccaria, qui tablaient sur une diffusion de 25 000 exemplaires, reçurent avec stupéfaction les demandes des libraires réclamant de nouveaux tirages de la revue inconnue, qui s’était vendue comme des petits pains et tire maintenant à 45 000 exemplaires. Le pari était gagné.
Aujourd’hui, les membres de XXI planchent sur le lancement d’un hebdo. Quand on l’interroge, Saint-Exupéry se fait très discret sur ce projet, au nom du respect des lecteurs. Le nom et la teneur de cet hebdo mystérieux ne seront dévoilés que lors des Rendez-vous de juillet, festival de journalisme vivant appelé aussi Festival des histoires vraies, du 14 au 16 juillet à Autun. Le samedi 15 juillet, sur le mont Beuvray, les festivaliers auront la primeur de la présentation de ce nouveau graal de l’info.
Avare de détails, Saint-Exupéry est plus disert quant à la philosophie générale du projet. Il considère que la presse dite de qualité est devenue “intimidante”, un terme assez étonnant pour qualifier une production gonflée de références autocentrées, cultivant l’entre-soi et faisant appel à une somme de connaissances que seuls possèdent les spécialistes.
Il évoque le France Soir des grandes années
Il évoque sa stupéfaction quand après cinq années comme correspondant du Figaro à Moscou, il s’est replongé dans le bain de la presse française et s’est rendu compte qu’il ne comprenait plus rien à cette prose pleine de sous-entendus et de messages subtilement cryptés : “Je me retrouvais face à une presse qui me disait : ‘tu ne sais pas tout, mais je ne vais pas tout te dire’, qui s’adressait à moi comme si j’avais tous les codes.”
Comment renouer le lien avec le lecteur grâce à ce projet d’hebdo atypique refusant l’élitisme ? Le journaliste utilise les mots “d’éducation populaire”, qu’il reconnaît désuets, il évoque aussi le France-Soir des grandes années, qui faisait appel à la plume d’un Joseph Kessel ou d’un Lucien Bodard… Alors que sera ce nouveau fleuron de la “presse populaire” ? Impossible d’arracher des confidences au grand reporter devenu créateur de journaux. Pour en savoir plus, rendez-vous dans les kiosques.
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