Du premier train à l’aube jusqu’au soir. Armé d’un ticket « Mobilis » (15,20 euros) et d’un plan du réseau, j’ai passé une journée à arpenter les cinq lignes du RER – le réseau qui fait tant râler – à la rencontre de ses trois millions d’usagers quotidiens.
Le RER. Il y a ceux qui n’en entendent parler que lors de grosses perturbations. Voire dans la rubrique « Faits divers », après l’agression d’un passager ou d’un conducteur. Comme cette jeune fille poussée sous une rame du RER D jeudi dernier. Le réseau express régional d’Île de France s’est taillé une mauvaise réputation : retards en série, insécurité… On l’accuse de mille maux.
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Pourtant, chaque jour, des banlieusards vivent au rythme du « RER, boulot, dodo », pour le pire mais aussi le meilleur. Morceaux choisis d’une journée dans les méandres du réseau.
RER B / Zone 5 / Saint-Rémy / 4h58 : Retards et petits voyous
Nuit noire et froid de canard. À l’extrémité d’une des branches de la ligne B, la paisible bourgade de Saint-Rémy-les-Chevreuse, dans la « zone 5 », la plus éloignée de Paris. A cette heure-ci, les rames sont presque vides. Les rares passagers se calent au fond d’un siège et profitent du voyage pour dormir encore un peu. On n’entend que les couinements du vieux train et une voix enregistrée qui annonce régulièrement le nom des stations, deux fois : Courcelle-sur-Yvette… Courcelle-sur-Yvette.
C’est ici que Roger monte pour aller au travail. Agent de circulation pour la SNCF, il prend le RER depuis 23 ans. Une heure de trajet pour se rendre à la gare du Bourget, « Lorsque ça va bien ». Ça va rarement bien. « Il n’y pas un jour sans retard, résultat je prévois toujours un train d’avance ». Mercredi 7 novembre, il faisait partie des dizaines de milliers de voyageurs bloqués après une série de perturbations en gare du Nord. Sorti du travail à 22H, il n’a pu rentrer chez lui qu’à cinq heures du matin.
« Le service se dégrade de plus en plus , soupire-t-il, pourtant je paye quand même 111,50 euros par mois. »
Autre souci, l’insécurité. « J’en ai ras-le-bol des petits voyous qui font des aller-retour dans le train, surtout le week-end. Ça commence toujours pareil, ils s’assoient à côté de toi, te demandent si tu n’as pas une cigarette ou du forfait, et puis ça dégénère. » Roger assure avoir pris ses « précautions » contre une éventuelle agression. « J’ai ce qu’il faut. Je ne peux pas vous dire quoi. Mais avec ça je peux en avoir au moins deux. Après, s’ils sont en bande de cinq ou six… ». Ambiance.
RER D / Zone 4 / Villiers-le-Bel / 06H30 : Fraude
Un homme attend qu’un voyageur valide son ticket et passe à sa suite en sautant le tourniquet. Un classique, bien exécuté : l’usager ne s’en est même pas rendu compte.
RER A / Zone 1 / Châtelet Les Halles / 07H05 : Heure de pointe
Les rames sont bondées. Certains passagers se reconnaissent, se saluent, discutent. Les mains cherchent une place sur les barres en métal pour garder l’équilibre. Le train décharge un bon paquet de travailleurs à La Défense.
On traverse Houilles-Carrières-sur-Seine. C’est ici qu’une femme a dû accoucher en urgence le 4 novembre, aidée par le conducteur et deux voyageuses. Le bébé – qui se porte bien – pourra utiliser les transports parisiens gratuitement jusqu’à ses 18 ans : cadeau de la SNCF et du STIF.
A Sartrouville, je discute avec Josiane, 39 ans. Pour aller au boulot, elle alterne entre la voiture et le RER. « Mais c’est comme choisir entre la peste et le choléra », dit-elle en rigolant. « Avec la voiture, on a les embouteillages, avec le RER les retards et les annulations ! ».
RER A / Zone 5 / Val d’Europe / 11H : #RerAMonAmour
J’ai rendez-vous avec Chérine, 22 ans, une étudiante qui partage régulièrement des anecdotes sur le RER sur Twitter. Des tweets qu’elle signe avec le hashtag #RerAMonAmour.
La ligne A, c’est son passeport pour Paris (« sans elle on serait coupé du monde »). Elle l’emprunte tous les jours et la connaît par cœur : les tronçons « où l’on capte » et ceux où le portable ne sert plus qu’à donner l’heure, les stations où le train ne s’arrête « qu’une fois sur quatre », les zones de ralentissement, les passages maudits où les suicides sont plus fréquents…
Comme il faut bien s’occuper, Chérine s’amuse à observer le comportement des usagers. « Le RER, c’est un condensé d’humanité », dit-elle.
« Il y a de tout, des fous, des sympas, des bavards, des taiseux, des mecs qui te draguent, d’autres qui t’insultent. Mes trajets en RER, je les vis comme des aventures. Les gens sont déjà stressés par leur travail, alors quand s’ajoute un problème de transport, un train qui s’arrête en plein milieu de la voie… c’est l’explosion ! Et le bordel révèle les personnalités, la manière d’être des gens. Il se passe ici quelque chose d’unique. Franchement on finit par s’y attacher : quand je ne prends pas le RER, ça me manque. »
Ce qui ne l’empêche pas de constater les défaillances du réseau. Notamment le manque de communication, le côté « on t’emmène à Paris et tu fermes ta gueule. Accident voyageur ou problème d’aiguillage, ça ne veut rien dire en soi, il faudrait mieux informer les usagers. »
RER C / Zone 1 / Saint-Michel / 14H07 : En tandem
Natacha et Françoise, 70 et 68 ans, « ne sont pas des habituées du RER ». Mais d’après ce qu’en disent leurs amis, « c’est affreux, terrible, sordide, une catastrophe ». En même temps, après réflexion, pouvoir rejoindre si rapidement Paris depuis la « campagne », « c’est formidable, génial, extraordinaire, fabuleux. »
« Vous vous rendez compte ?, m’explique Natacha, « au début du siècle, mes parents allaient dans la Vallée de Chevreuse en tandem! »
RER A / Zone 3 / Nanterre Préfecture / 18H40 : Le point de vue du conducteur
Je rejoins Cédric Gentil, conducteur de RER A et blogueur talentueux. Aujourd’hui il est « de nuit », et il m’embarque avec lui pour son premier service. Me voilà dans la cabine d’un MI 09, le RER dernier cri, mis en service en décembre dernier (les plus vieux, les MS 61, datent des années 60). Il y a des boutons partout, des molettes, des leviers, des compteurs. Bientôt le train s’élance dans le tunnel et c’est assez étrange d’adopter pour une fois le point de vue du conducteur.
Cédric marque un premier arrêt. Les quais sont noirs de monde (« Parfois j’ai peur que quelqu’un tombe ou se jette sur la voie », me confie Cédric). Des écrans lui permettent d’observer le flux des passagers qui s’engouffrent dans son train. « On ne peut pas se permettre d’attendre tout le monde », explique-t-il, « 10 secondes de perdues et c’est des répercussions sur des milliers de voyageurs. »
Le réseau tant décrié est au fond victime de sa popularité : aux heures de pointe, il est complètement saturé. Les trains se suivent de près, et le moindre problème entraîne un effet boule de neige.
Et en cas de pépin, c’est à Cédric d’informer les voyageurs. Lui est du genre à faire « plein d’annonces, des tartines, avec une voix apaisée : je fais ce que j’aimerais entendre quand je suis moi-même usager ».
S’il comprend les récriminations des passagers, Cédric n’excuse pas pour autant les agressions dont sont parfois victimes les conducteurs, premiers boucs-émissaires.
« Au Japon, m’apprend-il, la population a beau être nombreuse, les transports sont un modèle d’efficacité. Tout est parfaitement régulé. Le comportement des voyageurs comme du personnel sont exemplaires. On pourrait en prendre des leçons. »
RER A / Nanterre Préfecture / Zone 3 / 21H20 : Hors-service
En semaine, passé 21H, le RER se vide. Des potes s’apprêtent à passer la soirée à Paname. L’un d’eux me raconte une blague : « Tu sais qu’on a retrouvé un squelette de mammouth à 50 kilomètres de Paris? Il aurait attendu le RER B pendant 15 428 ans. » Rires jaunes.
Dans le train pour Poissy, Hélène elle souffle après sa journée de travail. Ce soir son RER est arrivé à l’heure. Elle rigole : « Parfois ça marche ! ». Avant de conclure : « Je passe environ un quart de mes journées dans le RER. Alors oui, parfois il y a de l’énervement, l’impression d’être prise en otage. Je sais bien qu’on ne peut pas résoudre le problème des transports parisiens en claquant des doigts. » Elle pointe du doigt le nouvel écran dans la rame. « Mais ça, par exemple, ça m’énerve ! ». Sur l’écran, ce message : « Ce dispositif d’information est provisoirement hors-service. Veuillez nous en excuser. » Hum.
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