Un procès qui dérape. Pour avoir exprimé leur indignation après la condamnation du rappeur tunisien Weld El 15, la journaliste indépendante Hind Meddeb ainsi que six autres personnes ont été arrêtés quelques heures jeudi 13 juin. Ils seront jugés lundi en comparution immédiate. Leurs proches, qui dénoncent une justice politisée, foulant aux pieds la liberté d’expression, craignent le pire.
A l’annonce du verdict, les soutiens du rappeur Alaa Yaacoub, alias Weld El 15, n’ont pas pu retenir leur émotion, leur colère. Deux ans ferme. Sa faute ? Un clip, diffusé sur YouTube, et son titre rageur : Boulicia Kleb, « les policiers sont des chiens ». Un morceau écrit pour dénoncer les brutalités policières à l’ère post Ben Ali. Le rappeur avait déjà été condamné par contumace en mars dernier. Mais après trois mois de cavale, il avait tenu à se rendre à son procès ce jeudi 13 juin. Ses proches, qui s’étaient organisés en comité de soutien, espéraient un non-lieu au nom de la liberté d’expression. La journaliste Hind Meddeb avait écrit une tribune publiée quelques jours auparavant par Libération.
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« Je ne défends pas un rappeur qui insulte la police, je défends mon pays qui a le droit de disposer d’une police respectueuse de ses citoyens. En ce jour de procès, j’appelle les musiciens du monde entier à cosigner cet appel et à soutenir leur collègue Weld El 15 qui risque une peine aussi lourde qu’injuste », disait-elle.
« Je l’ai entendue crier : c’est injuste ! »
Le journaliste indépendant Thameur Mekki était présent le jour du procès. Joint par téléphone, il raconte. « Dès le matin, journalistes, rappeurs et amis de Weld El 15 ont été provoqués par la police. On a voulu nous empêcher d’entrer au sein du tribunal de Ben Arous, où se tenait le procès. » Après négociations, certains accèdent tout de même à l’intérieur. Le juge interroge brièvement Weld El 15, les avocats font leur plaidoirie, évoquent des vices de forme ainsi que les menaces émises à l’encontre de leur client depuis la diffusion du clip.
« Le juge ne s’est même pas retiré pour délibérer », témoigne Thameur Mekki. « Il n’a pas examiné les rapports, n’a pas pris la peine de regarder les dossiers préparé par les avocats. On avait le sentiment que le verdict était déjà prêt, que ce procès n’était pas équitable. »
A 17 heures, le juge annonce la sentence : deux ans ferme. La journaliste Hind Meddeb s’indigne bruyamment. Thameur Mekki : « Je l’ai entendue crier ‘c’est injuste, c’est injuste !’ Un policier l’a violemment attrapée par la main et a levé l’autre de façon menaçante. Elle s’est énervée, s’est mise à hurler. Il y avait beaucoup de brouhaha. Une avocate a crié pour qu’on la lâche et s’est fait piétiner les pieds. » Les soutiens du rappeur quittent précipitamment la salle sous la pression des policiers et commencent à protester devant le tribunal. « Ils se sont mis à nous pourchasser », s’indigne Thameur Mekki. « Ils ont pris leur véhicule pour aller agresser un journaliste à 500 mètres du tribunal. » Lui dit s’être fait bousculer et avoir été aspergé d’un gaz irritant. « C’est comme s’ils nous avaient tendu un piège. Tous les défenseurs de Weld El 15 étaient là… Ça ressemblait à une vendetta. » Il ajoute : « Il faut savoir que ce genre de débordements n’arrive presque jamais en Tunisie, surtout depuis la Révolution. »
« Je n’ai pas confiance »
En tout, sept personnes ont été arrêtées. Elles ont passé quelques heures en garde à vue avant d’être libérées et comparaîtront demain matin devant le procureur de la République. Thameur Mekki se dit très inquiet : « Même si elles n’ont rien fait de contraire à la loi tunisienne, je n’ai pas confiance, on ne peut plus avoir confiance. »
La journaliste indépendante franco-tunisienne Hind Meddeb, qui travaille notamment pour France Info et pour Tracks, est soumise à un devoir de réserve et attend sa comparution pour s’exprimer. Elle assure cependant être « dans l’action ». Son père, l’écrivain et islamologue Abdelwahab Meddeb, l’a rejointe à Tunis. Dans un communiqué, il informe que sa fille « est accusée de trouble de l’ordre public et d’outrage à agents », et prie les médias « de diffuser cette information et d’appeler à se mobiliser contre l’atteinte aux libertés en Tunisie ». Sur son site, l’ONG Human Rights Watch prend la défense du rappeur emprisonné et de ses soutiens et dénonce les atteintes à la liberté d’expression qui minent la Tunisie. Weld El 15 a pour sa part fait appel de sa condamnation et a entamé une grève de la faim. Pour le journaliste Thameur Mekki, « il encourt de vrais risques de tortures ».
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