Boycottée par certains, publiée en une par d’autres, cette photo de deux rescapées des attentats de Bruxelles questionne les pratiques journalistiques.
Le poids des images
Montrer ou ne pas montrer ? Telle est la question qui a agité plus d’une rédaction au lendemain des attentats ayant frappé l’aéroport de Zaventem et la station de métro Maelbeek le 22 mars, à Bruxelles.
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Le quotidien britannique The Guardian a fait le choix de l’image : celle, choc, de deux femmes hagardes dans le hall de l’aéroport qui vient d’être soufflé par deux explosions. Si l’une détourne le regard, absorbée par le coup de téléphone qu’elle est en train de passer, l’autre fixe l’objectif.
Son chemisier ouvert sur son ventre nu, son visage ensanglanté, son pied droit déchaussé pendant dans le vide, trahissent une fragilité, une détresse qui pourraient valoir mille articles.
Mais voilà, d’autres titres de presse ont préféré flouter son visage afin d’empêcher son identification, voire ne pas diffuser la photo et respecter son anonymat.
Presse à scandale ?
Pourquoi cette différence de traitement et comment l’analyser ? Ne pas publier l’image revient-il à masquer une information ou, au contraire, à refuser de faire le jeu du sensationnalisme ?
“La violence est habituellement minimisée ou cachée, en particulier quand les victimes sont de ‘notre côté’, estime André Gunthert, chercheur en études visuelles à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). L’empathie envers les victimes impose un devoir de respect. Mais la mobilisation de la violence en images correspond souvent à un jugement moral, à une dénonciation, en rupture avec la neutralité journalistique.”
Les mêmes questions se posaient en septembre 2015, avec la photo du corps d’Alan Kurdi, 3 ans, échoué sur une plage turque. Allait-on trop loin avec ce cliché ou remplissait-on un devoir de journaliste ?
“Aidez-nous”
Au-delà de sa violence, l’image choque aussi et surtout car elle appelle automatiquement à questionner les motivations de son auteur. Est-il amoral de prendre une telle photo ?
Contactée par USA Today, Ketevan Kardava, 36 ans, correspondante à Bruxelles pour la télé publique géorgienne, raconte : “Je ne sais pas comment j’ai pris cette photo. En tant que journaliste, c’était de l’instinct. Je l’ai postée sur Facebook en écrivant ‘Explosion… aidez-nous’. Et d’ajouter : “Que faites-vous dans cette situation si vous êtes journaliste ? Vous aidez ? Vous appelez un médecin ? Ou vous prenez une photo ? A cet instant précis, j’ai pris conscience que pour montrer ce qu’il se passait dans ce moment de terreur, une photo était plus importante.” Les mots ne suffisent-ils plus à dire l’horreur ?
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