Apprendre à vivre mieux avec beaucoup moins. Contre la société d’abondance, le militant écologiste Paul Ariès invite à ne plus refouler la question du partage.
Bio express PAUL ARIES
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Militant écologiste, rédacteur au journal La Décroissance, directeur du journal Le Sarkophage, Paul Ariès fut l’un des organisateurs du Contre-Grenelle de l’environnement à Lyon le 6 octobre 2007. Il fut témoin au procès de José Bové. Il a déjà publié Apprendre à faire le vide : pour en finir avec le “toujours plus” (Milan, 2009) ; La décroissance : un nouveau projet politique (Golias, 2007), Le Mésusage : essai sur l’hypercapitalisme (Parangon, 2007)
Olivier Besancenot se moque de la “croissance verte” qui ne serait qu’un moyen de repeindre le capitalisme en vert. Quelle définition donnez-vous de ce capitalisme vert ?
Il existe en fait deux conceptions du développement durable. Celle symbolisée par Nicolas Hulot se résume à “polluer un peu moins pour pouvoir polluer plus longtemps” : elle a le gros inconvénient de diluer la responsabilité. L’autre conception est incarnée par la présidente du Medef Laurence Parisot, qui affirme que si un peu de croissance pollue, beaucoup dépollue ; ou par Claude Allègre qui appelle à passer d’une écologie dénonciatrice et culpabilisatrice à une écologie réparatrice. Cette nouvelle écologie veut adapter la planète aux besoins du productivisme en étendant le champ de la marchandisation à la nature grâce à la monnaie carbone. Ce capitalisme vert tend à réhabiliter le monde de l’entreprise et celui de la technoscience au moment où l’on commençait à les montrer sérieusement du doigt. Les firmes capitalistes ne sont plus les acteurs de l’effondrement écologique mais les nouveaux chevaliers verts. Merci Yann Arthus-Bertrand et toutes les ONG financées par les firmes !
Vous reprochez à la gauche de s’être abandonnée au productivisme avec enthousiasme.
La gauche qui domine depuis deux siècles est la gauche productiviste. Sa grande force a toujours été d’être optimiste puisqu’elle croyait aux lendemains qui chantent. C’est elle qui a choisi la grande surface contre le petit commerce, l’usine contre l’artisanat, qui a accepté la casse des cultures populaires. Cette gauche était convaincue que le capitalisme accoucherait automatiquement du communisme. Elle se trouve aujourd’hui totalement aphone car elle ne sait plus comment concilier les contraintes environnementales avec le souci de justice sociale et le besoin de reconnaissance. Cette gauche productiviste a fait son temps. Elle doit laisser la place à une gauche “antiproductiviste” qui a une histoire tout aussi longue. Mais le grand défaut de cette gauche-là, c’est qu’elle a toujours été pessimiste faute de savoir comment s’opposer concrètement à la société de consommation.
Pourtant, vous affirmez que les mouvements populaires sont nativement antiproductivistes ?
C’est une thèse totalement iconoclaste dans les milieux de gauche. C’est pourtant vrai des paysans refusant la faux pour conserver la faucille, des casseurs de machines, des Sublimes, ces ouvriers très qualifiés du XIXe siècle qui choisissaient de ne travailler que le strict minimum, c’est vrai de mon grand-père, électricien, refusant longtemps d’installer l’électricité dans les chambres, des paysans chinois, etc. Le peuple a d’abord refusé ce qu’on nomme un peu vite le progrès. Pas par peur ou ignorance mais pour conserver son mode de vie, son authenticité.
La crise écologique serait une occasion pour la gauche de réconcilier antiproductivisme et optimisme ?
Face à la gauche productiviste, une autre gauche est possible, une gauche qui renonce au mythe de l’opulence, une gauche qui refuse d’agir par nécessité, pour en finir avec la domination des uns sur les autres et de tous sur la planète, une gauche qui refuse d’en appeler au sacrifice d’une génération, une gauche qui sache conjuguer le socialisme au présent, une gauche adepte d’un nouveau socialisme gourmand. L’effondrement environnemental peut être une chance unique, la dernière sans doute. Il nous empêche de continuer à refouler la grande question qui est celle du partage. Oui, puisque le gâteau (PIB) ne peut plus grossir, nous devons redevenir très vite des partageux ! Oui, nous pouvons en finir avec ce mythe funeste du pays de Cocagne, car la disparition programmée des classes moyennes, la génération des Bac + 5 à 1 000 euros sape la foi dans ce système et crée un nouveau sujet révolutionnaire capable de porter un nouveau projet.
La gratuité n’a pour vous rien d’utopique, c’est au contraire un idéal très sensé. Pourquoi ?
On peut reprocher tout ce que l’on veut à la société de consommation, c’est un système diablement efficace : nous sommes tombés dans la marmite il y a soixante-dix ans et nous en voulons encore. Nous camperons dans des combats défensifs tant que nous n’aurons pas un principe aussi fort à lui opposer que le “toujours plus”. Or, la seule chose que nous puissions lui opposer, c’est la défense et l’extension de la sphère de la gratuité. Nous portons en effet la gratuité chevillée au corps, c’est le souvenir du paradis perdu, du sein maternel, ce sont aussi les relations sentimentales, les services publics. Je ne propose pas la gratuité de tout mais celle du bon usage face au renchérissement du mésusage. Pourquoi paye-t-on son eau le même prix pour faire son ménage et remplir sa piscine ? Pourquoi paye-t-on son énergie, son logement, son transport le même tarif pour ce que la société considère être une consommation normale et un gaspillage irresponsable ? Nous devons adopter le principe d’un revenu garanti inconditionnel couplé à un revenu maximal autorisé. J’ai fait un rêve : que nous soyons aussi nombreux à descendre dans la rue pour défendre le pouvoir de vivre que le pouvoir d’achat, que l’escargot devienne notre nouvel emblème.
La Simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance (La Découverte), 308 pages, 16 €)
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