Le 22 septembre, un “expert” a déclaré sur BFM TV qu’il y avait “discussion” sur les conditions de la mort de Malik Oussekine, insinuant même qu’il n’avait pas été frappé par des policiers. Ce n’est pas la première fois qu’une version révisionniste de cette histoire est soutenue.
Une nouvelle fois, des propos remettant en cause les conditions de la mort de Malik Oussekine (le 5 décembre 1986), ont été tenus sur un grand média audiovisuel. Le 22 septembre, au lendemain d’un samedi de mobilisation des Gilets jaunes où des voltigeurs version 2019 sont intervenus, l’expert police-justice de BFM TV Dominique Rizet déclarait : “Un jour, un jeune homme, Malik Oussekine a été rattrapé par des voltigeurs. Malik Oussekine est mort. Sur les conditions de sa mort, il y a discussion. Frappé, pas frappé… On a aussi parlé d’un médicament qui lui aurait manqué…”
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Dominique Rizet hier sur BFMTV : “Un jour, un jeune homme, Malik Oussekine a été rattrapé par des voltigeurs. Malik Oussekine est mort. Sur les conditions de sa mort, il y a discussion. Frappé, pas frappé… On a aussi parlé d’un médicament qui lui aurait manqué…” pic.twitter.com/eQgwINerGx
— Samuel Gontier (@SamGontier) September 23, 2019
Pour rappel, en 1986, lors des manifestations étudiantes contre la loi Devaquet, des voltigeurs (cette brigade de policiers à moto spécialisés dans le maintien de l’ordre) avaient pris en chasse le jeune étudiant franco-algérien, âgé de 22 ans, et l’avaient battu à mort. Cela avait conduit à leur dissolution. Désormais, ceux qui sont mobilisés ces jours-ci dans les manifestations de Gilets jaunes font partie de la BRAV-M (Brigade de Répression de l’Action Violente Motorisée).
PARIS – La BRAV-M (Brigade de Répression de l’Action Violente Motorisée) patrouille dans la capitale.
– Deux policiers par moto. Le passager à un bâton de défense.
– Ils ont été mis en place pour éviter les manifestations sauvages notamment. #GiletsJaunes #Acte20 #30Mars2019 pic.twitter.com/lx9olUxBga— Clément Lanot (@ClementLanot) March 30, 2019
Rétropédalages
Face au tollé, Dominique Rizet a rétropédalé le 23 septembre, en s’excusant sur Twitter : “Les circonstances de la mort de Malik Oussekine ne font aucun doute. Pour ces faits 2 policiers ont été condamnés à 5 et 2 ans de prison avec sursis. Toutes mes excuses pour ces propos qui étaient une erreur.”
https://twitter.com/dominique_rizet/status/1176209915142180869
Mais ce n’est pas la première fois que de tels propos sur Malik Oussekine sont tenus en plateau. Le 5 août dernier, Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine, a ainsi tenté de faire passer la vérité pour une fausse information : “Dans le souvenir de tout le monde aujourd’hui Malik Oussekine a été victime de violences policières, ce qui n’est factuellement pas le cas, mais c’est resté comme ça dans les esprits.” Il ajoutait même que, “sortis de l’émotion et du sentiment que les policiers avaient matraqué ce garçon mort en 1986 dans les manifs contre Devaquet, on s’est finalement aperçus qu’il n’a pas reçu de coups, qu’il est mort vraiment avec son problème d’insuline.”
Au fait, le révisionniste @JChriBuisson est-il toujours à l'antenne de @RTLFrance après ses scandaleux propos sur la mort de #MalikOussekine? | C'est pour un ami. Merci.. pic.twitter.com/6KFC9G2ttD
— BΞMBΞLLY (@bembelly) September 23, 2019
Finalement, M. Buisson avait lui aussi fait son mea culpa sur Twitter : “La justice a rendu son verdict dans cette affaire et je n’entends pas la contester.”
Je tiens à m'excuser pour mes propos tenus hier sur @rtl donnant à penser que je mets en doute le fait que Malik Oussekine soit mort à la suite d'une intervention policière le 5 décembre 1986. La justice a rendu son verdict dans cette affaire et je n'entends pas la contester.
— J-Christophe Buisson (@jchribuisson) August 6, 2019
Pourtant, régulièrement, la mémoire de Malik Oussekine continue d’être piétinée au détour d’un commentaire d’actualité – et ce, que ce soit à propos de la mort de Steve Maia Caniço, ou encore de la présence des policiers de la BRAV-M, qui rappellent forcément les voltigeurs. En avril dernier, le député La République en Marche Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du RAID, est carrément allé jusqu’à soutenir qu’il fallait “oublier l’affaire Malik Oussekine”. Dans un contexte de résurgence des dérives des forces de l’ordre, et alors même que cette affaire est un cas emblématique des violences policières, des personnes tentent ainsi de l’occulter.
https://twitter.com/cavousf5/status/1123276006146629632
Les faits
Il faut donc mettre les points sur les « i » (Libération s’en est chargé une première fois). Dans La France à l’heure du monde, l’historienne Ludivine Bantigny (qui a réagi sur Twitter à cette nouvelle polémique) rappelle le contexte et les faits : “Après plusieurs mois d’une politique menée au pas cadencé et sans apparente difficulté, le gouvernement est confronté fin 1986 à une puissante mobilisation lycéenne et étudiante qui le laisse déstabilisé.” Les jeunes manifestent alors contre la loi Devaquet, qui prévoit une autonomie accrue des universités et la possibilité d’une sélection à l’entrée.
L’historienne poursuit : “Ce mouvement lycéen et étudiant, efficacement organisé, est brutalement endeuillé par le décès d’un jeune homme, Malik Oussekine, battu à mort par des policiers dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986.” Suite aux marches funèbres impressionnantes qui s’organisent les jours suivants, le projet de loi est retiré, et le ministre Alain Devaquet doit démissionner. En 1990, les deux voltigeurs impliqués dans la mort du jeune homme ont été condamnés à des peines légères, de cinq et deux ans de prison avec sursis.
Non!😱 Ils recommencent – et avec eux l'indignité. Dominique Rizet révise et falsifie l'histoire, piétine la mémoire de Malik Oussekine. Il n'aurait pas été frappé! Un médicament lui aurait manqué! L'ignoble pour justifier la réapparition des "voltigeurs", responsables de sa mort https://t.co/0B5ySqShxj
— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) September 23, 2019
“Révisionnisme historique”
Pourquoi ces faits graves (la mort de Malik Oussekine a été par ailleurs interprétée comme un meurtre raciste) sont-ils encore foulés aux pieds aujourd’hui ? Y a-t-il vraiment matière à “discussion”, comme le disait Dominique Rizet ? Contactée par Les Inrocks, Ludivine Bantigny est formelle : “Non, ça ne fait absolument pas discussion du point de vue de la justice et de la médecine.” Dans Libération, Jean-Christophe Buisson affirme pourtant que “la vérité judiciaire n’est pas la vérité historique, et que la vérité historique ne peut pas être établie avant un certain temps”. Ludivine Bantigny réplique : “En accentuant la mise en doute, il s’enfonce dans une forme d’indignité, et objectivement de révisionnisme historique. Ce sont des assassins de la mémoire, d’autant plus que Jean-Christophe Buisson se réclame du statut d’historien, et Dominique Rizet d’expert police-justice.”
L’effacement de la mémoire souhaité par certains rencontre un contexte inquiétant de répression des mobilisations sociales. “La police ne semble plus souffrir du ‘syndrome Malik Oussekine’, c’est-à-dire de la peur des blessures graves ou d’un nouveau mort”, constate Ludivine Bantigny. “Jacques Chirac avait été traumatisé à titre personnel et humain par cette affaire. Cela explique même peut-être le recul du gouvernement face au mouvement anti-CPE, en 2006. Désormais, c’est très largement oublié dans le corps d’Etat.” Le corps social, lui, s’en souvient. Loin d’effacer des mémoires, les tentatives de dédouaner les policiers de leurs responsabilités dans l’affaire Malik Oussekine réveillent des blessures.
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