L’épouse du ministre Eric Woerth a démissionné de son poste de gérante de fortune, incompatible avec les fonctions de son mari. En épousant un ministre ou un homme politique de premier plan, elles ont aussi épousé sa carrière. Souvent au détriment de la leur.
« Aujourd’hui, je ne sais pas si je peux continuer à exercer le métier qui est le mien depuis 1981 ! Je ne peux pas prendre un travail sans risquer de voir mon mari accusé de conflit d’intérêts ! (…) Il y a tout de même là une vraie question de fond, une femme de ministre qui a des responsabilités peut-elle travailler ?», s’interrogeait Florence Woerth mercredi 23 juin dans Le parisien.
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L’épouse du ministre du Travail Eric Woerth a démissionné du poste qu’elle occupait depuis 2007 au sein de la société Clymène, qui gère la fortune de l’héritière Liliane Bettencourt. Outre les soupçons de fraude fiscale qui pèsent sur la société (François Baroin a annoncé ce dimanche que Bercy allait procéder à l’examen complet des avoirs de Liliane Bettencourt), s’occuper de la plus importante contribuable de France lorsqu’on a un mari qui fut ministre du Budget de 2007 à 2010, ça fait désordre. Un conflit d’intérêt que Florence Woerth dément :
« Il ne s’est jamais occupé de ma carrière, j’ai ma propre carrière depuis toujours. »
Les soutiens politiques ont fusé, occultant les problèmes de fisc pour se focaliser sur cette « entorse à l’autonomie des femmes » dénoncée par la Ligue du droit international des femmes (LDIF).
Exister par elles-mêmes
Comme Florence Woerth, d’autres « femmes de » ont voulu affirmer leur indépendance. Exemple le plus marquant : celui de Clara Gaymard, femme de l’ancien ministre Hervé Gaymard et fonctionnaire de haut vol, qui n’a jamais sacrifié sa carrière malgré ses neufs enfants et les responsabilités de son époux. « J’ai besoin d’exister par moi-même, de travailler, d’être libre », déclarait-elle en 2005.
Sylviane Jospin-Agacinski, philosophe et écrivain, déclarait dans un reportage France 2 de 2001 chercher « autant la notoriété en tant que philosophe que la discrétion comme épouse » (voir la vidéo).
« Difficile pourtant de nier le rôle de leur mari ministre dans leur carrière, en terme d’aura, même s’il n’intervient pas directement », tempère Christiane Restier-Melleray, chercheuse en sociologie politique. « C’est le mari de Florence Woerth qui a annoncé sa démission…», note-elle malicieusement.
Impossible d’être autonome pour une femme d’homme politique ?
« Quand on est l’épouse d’un ministre de la République, on n’est pas tout à fait une femme comme une autre », a estimé le député PS André Vallini. « On doit peut-être s’interdire certaines activités ».
Se censurer pour éviter les accusations de conflit d’intérêt (parfois réels, comme Jean-Paul Huchon et son épouse), alors même que la loi française n’établit aucune restriction quand aux métiers des conjoints.
Pour les postes -temporaires- de ministres, la secrétaire nationale des Verts Cécile Dufflot inverse le problème:
« Je trouverais plus naturel, quand on a sa femme qui travaille dans tel secteur, de ne pas devenir ministre dans tel domaine », a t-elle expliqué, rappelant le sort des femmes journalistes qui ont « quitté leur travail quand elles étaient la compagne ou l’épouse de ministre ».
Les démissions de femmes journalistes
La présentatrice Anne Sinclair ouvre le bal en 1997, cessant toute émission politique après la nomination de son mari Dominique Strauss-Khan au ministère de l’Économie. Présentatrice des JT de France 2, Béatrice Schönberg l’imite en 2007 et démissionne après la nomination de son mari Jean-Louis Borloo au gouvernement Fillon. Au même moment, Marie Drucker renonce à présenter Soir 3 après la révélation sa liaison avec François Baroin, alors ministre de l’Outre-Mer.
Seule Christine Ockrent, en couple depuis les années 80 avec Bernard Kouchner, a résisté aux critiques sur son manque d’objectivité supposé. Lorsqu’elle est nommée directrice générale de l’audiovisuel extérieur français en 2008, alors que son mari est ministre des Affaires étrangères depuis 2007, la « reine Christine » n’abdique pas:
« Ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on est incapable de penser toute seule, et de conduire son parcours professionnel en toute indépendance », s’insurge t-elle.
Dernier couple politique/journaliste en date : François Hollande, député et président du conseil général de la Corrèze et député et Valérie Trierweiler, journaliste politique sur la chaîne Direct 8.
Moins potiches, elles agissent en coulisse
La multiplication de ces liaisons dangereuses repose sur « l’endogamie des milieux politiques, journalistiques, et du monde de la finance », indique Christiane Restier-Melleray.
« C’est un univers clos : ils sont passés par les mêmes écoles, ont le même parcours, des environnements familiaux similaires et finalement se marient entre eux. »
Résultat : les époux gravitent dans les mêmes sphères et la trajectoire professionnelle des « femmes de » reste souvent liée à celle de leurs maris. « La gestion de la politique en couple a toujours existé », selon Christiane Restier-Melleray.
Auparavant cantonnées à des rôles de représentation et/ou de mères de famille, les épouses ne sont plus des potiches. La loi n’interdisant pas aux élus ou ministres d’embaucher des membres de leur famille, à fortiori leur conjoint, certains ne s’en privent pas.
Laure Darcos fut ainsi chef de cabinet adjoint au ministère de l’Education nationale dirigé par son mari. Marie-Caroline Ferry y avait également un bureau, tout comme Corine Perben à la Justice. Monique Lang, Lise Toubon ou Isabelle Juppé ont joué des rôles similaires, bien que moins officiels. Sans parler de Cécilia ex-Sarkozy qui occupa successivement des fonctions à la mairie de Neuilly puis au ministère de l’Intérieur et enfin (brièvement) en tant que première dame. Françoise Castro fut également la principale conseillère de Laurent Fabius, avant leur séparation en 2002.
Qu’elles soient novices ou politiques chevronnées, le statut de ces femmes de l’ombre s’officialise. Sauf pour les femmes de présidents. Au temps de Danielle Mitterrand, les constitutionnalistes s’interrogent sur la nécessité d’éclaircir leur rôle. Bernadette Chirac accentue le malaise en jouant un rôle politique croissant. Mais à l’heure actuelle, toujours pas de règles établies.
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