Sur ARTE Radio, le podcast « Le Tchip » observe la culture afro d’un point de vue mi-pop, mi-intello.
Le tchip, à la base, c’est « ce bruit de bouche commun à toute la diaspora afrodescendante, ça sert à marquer son scepticisme, sa désapprobation, voire son mépris », expliquait le journaliste François Oulac le 29 janvier au micro de France Inter. Quelques jours plus tôt, on le rencontrait aux côtés de Mélanie Wanga et Kévi Donat, avec qui il a transformé ce « bruit de bouche » en discussion quinzomadaire sur ARTE Radio. L’émission s’appelle donc Le Tchip et traite de l’actualité culturelle à travers le prisme afro du trio.
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« Mais on est ravis si des non-Noirs nous écoutent », sourit Kévi Donat quand il est question de savoir pourquoi les médias, en France, laissent si peu la parole aux minorités. Kévi Donat est guide touristique. Avec Le Paris Noir, il propose de raconter l’histoire de la capitale autrement. Mélanie Wanga, comme François Oulac, est journaliste. Elle anime un autre podcast, Quoi de Meuf, lancé avec sa consœur Clémentine Gallot sur la plateforme Nouvelles Ecoutes après le succès de la newsletter féministe du même nom. Mélanie Wanga et François Oulac se sont rencontrés à 20 Minutes. Ce dernier est aujourd’hui journaliste indépendant, notamment pour Loopsider depuis son lancement récent.
L’idée du podcast est venue d’un constat simple : les radios françaises ne sont pas prêtes à programmer une émission comme Le Tchip. « Même pas dans 100 ans », a-t-on dit un jour à François Oulac alors qu’il présentait l’idée. Il n’a pas attendu d’autre réflexion du genre pour la concrétiser.
Dans quel paysage médiatique s’inscrit Le Tchip ?
François Oulac – En lançant le podcast, on s’est introduit dans tout un écosystème de médias afro – que je ne connaissais pas si bien que ça, d’ailleurs. Je pense à des sites comme NoFi ou Nothing But The Wax. Mais on se place aussi en complément de médias un peu vieillissants sur ces questions, comme RFI et Nova. On investit un créneau qu’ils n’occupent pas, ou pas assez.
Mélanie Wanga – Il y a eu une explosion en 2017. Beaucoup de gens se sont lancés sur ce terrain, mais avec des thématiques différentes. Le podcast Exhale, par exemple, parle du bien-être chez les femmes noires. Il y a un peu de tout, des choses plus ou moins activiste, ou plus orientées vers la pop culture, comme nous.
Kévi Donat – C’est par ailleurs une chance de bosser avec ARTE Radio. C’est vraiment un endroit qui donne la parole aux gens et qui cultive sa curiosité intellectuelle – et je le pensais déjà avant la création du Tchip !
Le podcast, c’est encore un espace de liberté pour des sujets dits « de niche ».
K.D. – On n’aurait pas la même liberté de ton exposés dans les conditions d’un grand média, c’est clair.
F.O. – Le podcast, c’est un peu à la radio ce que le blog est à la presse écrite. C’est-à-dire un espace où il y a de la place pour une parole plus personnelle, un peu de niche, en effet. Malheureusement, aujourd’hui, les thèmes qu’on aborde, où plutôt le prisme à travers lesquels on les aborde, ne sont pas encore mainstream.
M.W. – C’est même controversé. Il y a un problème de représentation des minorités dans les médias, mais aussi un problème autour du modèle français dans lequel « on ne voit pas les couleurs », soi-disant. Une émission uniquement composée de Noirs qui donnent leur avis, c’est encore choquant pour beaucoup de gens.
F.O. – C’est souvent vu comme une démarche communautariste, dans le mauvais sens du terme.
En quoi cette situation est-elle spécifique à la France, d’après vous ?
F.O. – On a une culture de l’universalisme. Les citoyens sont égaux, c’est inscrit dans la constitution. On est Français avant d’être Noirs. Et bien sûr, il y a la question des anciennes colonies…
M.W. – Et puis il n’y pas de statistiques ethniques en France, c’est interdit. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis, par exemple. En France, on ne sait même pas combien on est.
F.O. – On a donc des médias qui reflètent ça. Nous trois, c’est vrai, on a des façons de penser très inspirées des Etats-Unis. C’est un des pays les plus racialement conscients, avec peut-être la pop culture noire la plus intéressante au monde. On nous a d’ailleurs beaucoup reproché d’abuser des anglicismes pendant les émissions…
K.D. – Même le format podcast est influencé par les Etats-Unis, en fait. Là-bas, le New York Times a son podcast noir, Buzzfeed a son podcast noir, la NPR a ses podcasts noirs, au pluriel… Tous les grands médias un peu progressistes et humanistes ont un endroit où les minorités s’expriment.
François, tu parles d’anglicismes. On entend aussi beaucoup de néologismes dans Le Tchip. A quoi correspond ce vocabulaire ?
F.O. – À ce que disent les africanistes et les anti-racistes. Les outils de pensée sur ces questions, comme c’est le cas avec les gender studies, viennent beaucoup du monde anglo-saxon. Mais on essaye de se calmer sur les anglicismes ! Il ne faut pas oublier qu’on s’adresse à un public français, et que tout le monde n’est pas bilingue.
K.D. – C’est d’ailleurs assez ironique de voir que chez beaucoup d’anglo-saxons, les auteurs fétiches sont justement Français ! Frantz Fanon, Simone de Beauvoir, Michel Foucault… C’est ce qu’ils appellent la French Theory.
M.W. – On reproche beaucoup aux Noirs de France de ne parler, soi-disant, que de Jay-Z et Beyoncé, et de ne pas s’intéresser à ce qui se fait ici. Mais malheureusement, c’est parfois difficile de s’y retrouver.
propos recueillis par Maxime de Abreu
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